La fin de semaine dernière il y a eu une manifestation à Ottawa. Tout ce qu’il y de plus légitime dans un système démocratique: on débarque au Parlement, on exprime ses préoccupations, son mécontentement, on fait du bruit, on fait sentir notre présence, puis on regagne ses pénates.
Les demandes spécifiques des manifestants étaient plutôt confuses et disparates, mais le message avait le mérite d’être clair: on en a assez des mesures dites sanitaires.
Ca fait du bien de manifester et même, à l’occasion, de se frotter aux forces de l’ordre. Quand j’avais 10 ans sur la Côte-Nord, on avait bloqué la route principale pendant 2 jours dans l’espoir d’obtenir une scierie. L’escouade anti-émeutes était descendue de Québec avec casques, matraques et gaz lacrymogène. C’est intimidant, une matraque bien appuyée dans les côtes. Et ça pique, du gaz. Mais crisse qu’on a eu du fun. De loin les 2 plus belles journées de ma petite vie tranquille à Forestville.
J’ai renoué avec les gaz dans d’autres manifs plus tard, notamment en voyage au Pérou lors de l’élection du controversé président Fujimori. Ça brassait pas mal plus qu’ici: j’ai appris le lendemain qu’il y avait eu 6 morts!
Bref, si vous n’avez jamais joint une manif, je vous le recommande fortement. De l’adrénaline pur. Le sentiment de participer à quelque chose de plus grand que soi. L’impression de faire bouger les choses.
Mais revenons à Ottawa, aujourd’hui: ce à quoi on assiste, ce n’est plus une manifestation, c’est carrément une occupation. C’est pas le gouvernement sur qui les récalcitrants mettent la pression, c’est sur la population en général. Et ce pauvre chef de police Sloly qui, on le voit bien, espère bien qu’un dirigeant politique viendra le sortir de l’impasse.
Qu’est-ce que les occupants veulent, au juste? Que Trudeau revienne sur l’obligation de vaccination pour les camionneurs afin de rentrer au Canada? Ca ne changera absolument rien parce que les Américains ne laissent pas entrer les non-vaccinés. Les occupants veulent la fin des mesures sanitaires? Ben comme disent les Anglos, ils « jappent au pied du mauvais arbre » parce que la santé est de compétence provinciale!
Mais qu’est-ce qu’ils peuvent bien vouloir? Montrer à Trudeau qu’ils n’aiment pas ses politiques, ce qu’il représente? C’est bon, les drapeaux F*ck Trudeau achetés sur Amazon sont éloquents à cet égard; le message a été reçu 5 sur 5, ou 10-4, ou peu importe comment les camionneurs le disent sur leurs CB dans les cabines de camionnage.
Je ne voudrais pas avoir l’air d’en vouloir aux camionneurs en général, ou de me moquer d’eux. Camionneur, c’est un noble métier que j’ai appris à découvrir (un tant soit peu) lors de longs road trips aux États-Unis, mais surtout grâce à la plume du regretté anthropologue Serge Bouchard dans son magnifique Du diesel dans les veines. D’ailleurs, une majorité de camionneurs n’appuie pas le mouvement, et bien des manifestants ne sont pas camionneurs.
En fait, on peut dire sans risque de se tromper que la manif initialement organisée par les camionneurs a été hijackée par des éléments plus radicaux. Pour mieux comprendre le psyché de ces groupes radicalisés, je vous recommande cet excellent article de la Presse sur l’étude des groupes d’extrême droite et ceux d’inspiration spirituelle et religieuse.
Maintenant, comment est-ce qu’on sort de cette impasse? Notre Justin national a décidé de se la jouer « tough », dans le style de Trudeau père et son fameux Just Watch Me de la crise d’Octobre 70. Ignorer les occupant n’a pas aidé. Les récalcitrants ne vont pas quitter la tête basse, et veulent au minimum savoir que leur message a été entendu. Il me semble qu’il serait plus simple d’affirmer que le message a été entendu — ce qui n’empêcherait pas de les faire remorquer après le weekend qui débute. Le siège a assez duré, la population de la capitale nationale veut reprendre une vie normale et ne pas être harcelée et intimidée. Il ne faudrait quand même pas attendre que certain citoyens plus zélés décident de prendre les choses en main; là, ce ne serait pas beau à voir…
En fin de semaine, c’est au tour de Québec d’être assiégé. Le gouvernement Legault et le nouveau maire semblent avoir appris des erreurs d’Ottawa. Espérons seulement que Rambo et sa bande de crinqués ne viendront pas gâcher le Carnaval!