« Vous bousculez les codes sociaux… »

Suite à la publication de mes articles sur mon long tunnel noir de l’anxiété et de la dépression, j’ai été frappé par une grosse vague d’amour qui m’a réchauffé le coeur et l’esprit. La vague m’a soulevé et m’a donné envie de reprendre contact avec des amis que je n’avais pas vu depuis belle lurette. Je ne voulais pas seulement écrire aux amis, je voulais leur parler, je voulais les voir. J’ai donc décidé de faire des facetimes à l’improviste, sans avertissement, à n’importe quelle heure de la journée…

La première personne que j’ai contactée est un ami australien, un ex-militaire que j’avais rencontré du temps que je travaillais à Washington DC. Il s’appelle Chip, il a un accent « exotique » et le physique du Crocodile Hunter; comment ne pas développer une « bromance » immédiate avec un gars comme ça? Je n’avais pas revu Chip depuis 2015, mais on avait quand même gardé contact à travers Facebook. J’ai donc décidé que j’avais envie de revoir Chip. J’étais en camping dans ma roulotte avec ma plus jeune seulement, j’ai pris mon iPhone et, sur un coup de tête, j’ai ouvert l’application Messenger. Une demi-seconde avant d’appuyer sur la caméra, une question cruciale m’est venue à l’esprit: Quelle heure est-il en Australie? J’ai vérifié et vu qu’il était environ 8 heures du matin, un dimanche. J’ai donc appuyé sur la caméra et Chip est apparu; il prenait le petit déjeuner avec sa femme Joanne.

J’étais ravi de les revoir alors je me suis mis à jeur raconter, de façon très excitée, que je venais de sortir d’une dépression, que les choses allaient mieux, que tout se replaçait tranquillement; je m’emballais dans mes explications au point que je ne laissais pas la chance à Chip de dire un mot. Quand j’ai finalement marqué une pause, Chip m’a demandé, le plus calmement du monde: « Eric… where is Corinne? » C’est là que j’ai compris le caractère plutôt incongru de mon appel… Sans aucun préavis, je le « facetimais » un dimanche matin, depuis ma roulotte, avec une tuque sur la tête; j’avais aussi une barbe de quelques jours et je lui disais que je sortais d’une dépression… Évidemment que Chip et Jo devaient sérieusement se demander si je n’étais pas dans la rue, si mon épouse m’avait laissé, si j’avais oublié de prendre ma médication, etc. J’ai éclaté d’un rire franc et j’ai crié: « No, no, no, all is good! I’m still in a relationship! I’m just in a campground at the moment, with my youngest daughter… » Et là j’ai appelé ma fille pour qu’elle vienne à l’écran pour faire comprendre à Chip et à Joanne que je n’étais pas sans-abri… C’était trop comique comme situation. La conversation s’est poursuivie pendant une bonne demi-heure. Visiblement, on était très contents de se revoir après tant d’années.

Deux jours plus tard, il m’est venu une envie de reprendre contact avec un ami du secondaire que j’avais perdu de vue depuis au moins 30 ans. Lui, je n’avais pas gardé contact avec, ni en personne, ni sur les réseaux sociaux. J’ai donc pris mon téléphone et je l’ai « facetimé » sans avertissement. Imaginez sa surprise quand il m’a vu sur son cell… Et pourtant, la conversation a été très profonde, d’autant plus qu’elle était spontanée, et elle m’a semblé aussi passionnante pour lui que pour moi.

Un autre soir, je travaillais à l’ordinateur quand j’ai vu qu’un ami lointain avait mis un « like » sur un de mes articles. Je n’ai fait ni une ni deux et je l’ai contacté par vidéo caméra. Il était pratiquement 11 heures du soir et c’est certain qu’il trouvait ça un peu particulier, mais, encore une fois, l’échange a été très chaleureux et vraiment agréable.

J’ai fait ça encore à quelques reprises et je dois dire que j’ai eu des conversations plus chaleureuses et enrichissantes pendant environ deux semaines que pendant peut-être tout le reste de ma vie.

Je ne sais pas vraiment pourquoi je faisais ça. J’avais juste une envie viscérale de reprendre contact avec mes amis, de près comme de loin. C’était comme si la vie m’avait donné une deuxième chance et je ne voulais pas la rater. Puis, comme je l’écrivais plus haut, ces rencontres à l’improviste étaient extrêmement gratifiantes.

J’ai raconté à mon psychiatre ces facetimes impromptus, à toute heure du jour, avec des amis lointains. Mon psy est une personne formidable: il est toujours posé, rien ne semble le surprendre, on dirait qu’il a tout entendu dans son cabinet. Il s’est penché vers moi et m’a dit calmement, dans son accent maghrébin et avec sa voix douce et chaleureuse: « C’est certain monsieur Sauvé que vous bousculez les codes sociaux…« .

Quel joli choix de mots! Quelle profondeur dans cette réflexion! Il venait de souligner, en quelques mots simples, toute l’incongruité de ces appels à l’improviste. Je bousculais les codes sociaux… Les codes non-écrits qui disent que l’on texte quelqu’un avant de l’appeler, que l’on envoie un courriel ou un Messenger plutôt que de « décrocher » le téléphone, comme on l’a fait pendant des décennies avant.

Cet épisode m’a fait réaliser que la technologie audio-visuelle, fascinante et essentielle, a contribué paradoxalement à nous éloigner de nos connaissances. On peut se texter de longues minutes sans jamais penser à se parler, encore moins à ouvrir sa caméra. Et pourtant, quand on se risque à le faire, l’échange est tellement plus enrichissant!

Je m’ennuie du temps où on s’assoyait à côté du téléphone, on démêlait le cordon, puis on signalait le numéro d’un ami avec la roulette. C’était la seule façon d’entrer en contact avec un ami, autre que de se voir. Et on passait parfois de longues minutes, sinon des heures à jaser de tout et de rien.

Bousculons ces codes sociaux qui dictent notre façon de nous comporter. C’est tellement plaisant et enrichissant.

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