Le zoo humain

Il y a 50 ans l’auteur britannique Desmond Morris, zoologiste de formation, publiait coup sur coup deux influents et controversés livres sur l’étude de l’espèce humaine: Le singe nu (1967) et Le zoo humain (1969). Dans le premier livre, Morris décrit l’humain avec le même regard que celui qu’on porte sur les animaux. Sa première observation de zoologiste est que l’humain est le seul des 193 espèces de primate à ne pas avoir de poil, d’où le titre du livre. Morris s’amuse à décrire l’humain – et ses comportement sexuels, surtout – à la manière d’un zoologiste détaché qui décrirait une espèce jusqu’alors inconnue. Il explore le conflit entre nos pulsions animales et nos aspirations plus nobles comme des questions de biologie, et non de morale. Le livre a été un succès instantané et il s’est retrouvé sur la liste du Time des 100 essais (non-fiction) les plus influents.

Mais je veux plutôt ici vous parler du Zoo humain sur lequel je suis tombé quand j’étais adolescent, sans même me douter que c’était en quelque sorte la suite du Singe nu. Dans cet ouvrage, Morris compare les comportements – déviants – des humains dans les villes aux comportements tout aussi déviants des animaux en captivité. Selon lui, dans leur habitat naturel, les animaux n’ont pas tendance à s’automutiler, à se masturber, à attaquer leurs petits, à souffrir d’obésité, à commettre des meurtres (et j’en passe!): tous des comportements qui s’observent aussi bien chez les gens de la ville que chez les animaux en captivité. Ce qui fait dire à Morris:

« The zoo animal in a cage exhibits all these abnormalities that we know so well from our human companions. Clearly, then, the city is not a concrete jungle, it is a human zoo. »

On comprendra rapidement que Le zoo humain est aussi fascinant et controversé que son prédécesseur! Mais il n’y a pas que des mauvais côtés à vivre en permanence dans nos cages modernes, nous rappelle l’auteur. Il écrit:

« The zoo world, like a gigantic parent, protects its inmates: food, drink, shelter, hygiene and medical care are provided; the basic problems of survival are reduced to a minimum. There is time to spare. »

Morris insiste tout au long du livre sur le fait que nous sommes des animaux sociaux qui avons besoin d’explorer, d’être actifs d’être créatifs et d’établir des contacts avec les autres membres de notre espèce. On ne peut survivre sans les gens autour de nous, tout comme nos cousins les primates. Il donne comme exemple certains babouins qui se retrouvent en isolation forcée. Certains se masturbent de façon obsessionnelle, d’autres s’automutilent et peuvent même en mourir.

La thèse de Morris est que l’humain confiné dans la ville exhibe certains des comportements observés dans les animaux en cage. Il ne prônait pas pour autant un retour à la nature. Après avoir décrit l’humain dans toute sa simplicité dans Le singe nu, il voulait seulement dresser un parallèle intéressant les animaux en captivité et les humains vivant dans une certaine sorte de confinement.

Vous me voyez peut-être venir à ce moment-ci… Nous vivons présentement la plus grande forme de confinement de notre existence. L’entièreté de la race humaine est confinée d’une quelconque façon.

Nous sommes dans un zoo humain.

Morris avait vu juste en ce qui concerne les conséquences fâcheuses de l’isolement involontaire; partout dans le monde, on constate une hausse de la violence domestique, dont les femmes et les enfants font les frais. L’isolement affecte notre humeur. Bien des gens sont déprimés, anxieux; certains ont des pensées suicidaires. Comme animal social, nous ne sommes pas faits pour vivre dans des endroits restreints, coupés du monde qui nous entoure, privés de la présence de nos congénères.

L’ennui pousse plusieurs d’entre nous à la création. La pénurie de farine prouve que plusieurs se sont mis à la cuisine. D’aucuns apprennent une nouvelle langue, d’autres retrouvent un instrument de musique délaissé, tricotent ou bloguent. Pour chasser l’ennui, les gens regardent beaucoup plus la télé, Netflix. L’utilisation des réseaux sociaux a explosé car c’est un formidable médium pour garder contact avec l’extérieur. Contrairement aux cages des animaux dans les zoos, nos maisons regorgent de distractions.

Je ne crois pas que le fait d’habiter en ville soit la source de nos problèmes, en tant qu’espèce. Mais je crois que Morris avait vu juste: l’ennui et l’isolement engendrent de profonds changements chez l’humain. Pour le meilleur et pour le pire.

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