Le cauchemar indien

Je viens de terminer un article du correspondant du New York Times à Delhi qui débute par ces mots: « Les crématoriums sont tellement plein de corps qu’on dirait qu’une guerre vient d’avoir lieu.« 

Ca fait 10 ans que j’ai visité l’Inde et ce pays vit encore en mois. La crise de la Covid que vivent présentement les Indiens est d’une tristesse sans nom.

Pourquoi est-ce que le sort s’acharne toujours sur les plus démunis? Mon père aurait dit que la Covid est tombée sur les Indiens « comme la misère sur le pauvre monde ». Et ça ne pourrait être plus vrai.

Pour comprendre l’ampleur de la crise, il faut savoir que l’Inde a un système de santé à deux vitesses. A plusieurs vitesses, en fait, j’en ai personnellement été témoin.

En 2011 nous avons fait le nord de l’Inde avec nos trois plus vieux – ils n’avaient que 7, 5 et 3 ans à l’époque. Durant nos derniers jours à Delhi, la petite a souffert d’une infection urinaire qu’il fallait faire soigner.

On décide donc de prendre un tuk tuk et de lui demander de nous apporter à l’hôpital le plus près. En chemin, je regrette de ne pas avoir averti les assurances, ce que je suis supposé faire avant de rencontrer un médecin. Bof, je me dis que traiter une infection urinaire ne doit pas coûter une fortune.

Le tuk tuk nous laisse devant un hôpital qui ne paye pas de mine. On entre, on cherche les admissions au rez-de-chaussée, on ne trouve rien. On descend au sous-sol, l’endroit est peu illuminé, il fait une chaleur épouvantable, et devant les admissions il doit y avoir une centaine d’Indiens massés en troupeau qui attendent leur tour. Il y a une traînée de sang par terre, l’endroit est vraiment glauque. Pas question qu’on fasse traiter notre fille dans cet endroit!

On sort à l’extérieur et j’aperçois de l’autre côté de la rue une clinique, en fait un gros hôpital pour les gens atteints du cancer. Ca a l’air d’un de ces centres pour clients étrangers fortunés. Je dis à mon épouse: « on va là. »

Elle me regarde, incrédule. « On ne va pas faire traiter la petite dans un hôpital pour les cancéreux?! »

« S’ils traitent le cancer, ils doivent bien traiter les infections urinaires », que je lui réponds, sûr de mon coup…

On entre, toute la famille, je me présente au guichet et dis que je veux voir un médecin pour faire traiter l’infection urinaire de ma fille.

La dame me regarde, visiblement surprise, puis elle se lève et va parler à ses collègues à l’arrière. Un après l’autre, ils me regardent d’un air surpris.Après de longues minutes, un homme en veston vient à me rencontre. Il me demande, le plus sincèrement du monde: « Monsieur, je cherche à comprendre. Vous êtes venus du Canada pour faire traiter l’infection urinaire de votre fille?? »

J’avoue que je l’ai trouvé bonne celle-là… Je ne m’attendais tellement pas à ce qu’ils pensent ça! Quand j’ai expliqué la situation au gentil monsieur, il a bien ri lui aussi. Il m’a alors suggéré un autre hôpital pas trop loin, et pour être certain que l’on se rende à bon port il a donné les instructions au chauffeur de tuk tuk.

En arrivant à l’autre hôpital, beaucoup plus propre que le premier (!), je me présente aux admissions et leur explique la situation. On me demande dès lors de payer des frais de 5 dollars. Je demande à quoi servent ces frais. La dame me répond: « Oh mais ça paye tout monsieur: l’admission, la consultation et les médicaments que le médecin va vous prescrire. »

5 dollars! Cinq maigres dollars et en quelques minutes on voyait un médecin et on ressortait avec des antibiotiques.

En sortant de l’hôpital, je pensais à la centaine de pauvres indiens qui attendaient en file dans l’hôpital crasseux. Ils n’avaient clairement pas le moyen de payer ces 5 dollars et se faire voir par un médecin ici…

Au lieu d’un système à deux vitesses, on doit parler d’un système à vitesse variable. L’Inde offre des services médicaux gratuits à sa population, mais à quel prix, réellement? On le voit aujourd’hui: tous ces morts sont dûs à un système de santé sous-financé et complètement inadéquat pour une population de 1,4 milliards d’habitants.

Le système peine à subvenir aux besoins réguliers; en temps de crise, il s’écroule.

C’est d’une tristesse sans nom.

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