J’écrivais tout juste dimanche que je ne serais pas surpris que des bombes russes tombent bientôt sur la frontière polonaise. Qu’est-ce qu’on apprenait hier? Qu’un missile s’écrasait à 20 kilomètres de la Pologne.
Une base ukrainienne était visée, on peut assumer que ce n’était donc pas accidentel. Provocation de Poutine? Assurément. Poutine veut narguer l’Organisation du Traité Atlantique Nord, démontrer à ses 30 états membres qu’ils ne peuvent s’entendre sur ce qui constitue une menace contre l’Alliance.
Ce qui m’amène à parler de l’Article 5 de la charte de L’OTAN. L’article 5 stipule qu’une attaque contre l’un des membres de l’Alliance constitue une attaque contre tous ses membres. C’est la pierre angulaire de l’Alliance. L’article a été invoqué une seule fois depuis la création de l’OTAN en 1949, soit le 12 septembre 2001 par les États-Unis, en réponse aux attaques d’Al Qaeda basé en Afghanistan. La Pologne pourrait bientôt être le deuxième pays à invoquer l’article 5.
Les relations ont toujours été turbulentes entre la Russie et la Pologne. Sans devoir remonter au moyen-âge (ce que les Polonais n’hésitent pas à faire), on oublie parfois qu’en septembre 1939, les Soviétiques s’étaient joints à l’Allemagne nazie pour envahir la Pologne. Après avoir atteints le centre de la Pologne, les armées allemandes et soviétiques se sont pratiquement serrées la main, puis les Allemands sont repartis sur le front ouest.
Les Polonais, eux, n’ont pas oublié ce que Moscou leur a fait. Et si la Russie les provoque, les Polonais vont dire que Moscou a franchi une ligne rouge et ils n’hésiteront pas à demander aux autres membres de l’OTAN de venir à leur secours.
Difficile de prédire tout ce que ça pourrait engendrer comme conséquence. En invoquant l’article 5 contre la Russie, nous sommes définitivement en guerre, mais une guerre avec des objectifs limités, forcément. L’OTAN est une alliance politique avant d’être une alliance militaire. Certains pays voudront limiter l’implication de leurs troupes dans le conflit. Le niveau d’engagement des 30 nations serait fort différent.
Et qui peut prendre la tête de cette future mission, si ce n’est les États-Unis? Ce qui voudrait dire que, 30 ans après la fin de la guerre froide, pendant laquelle l’URSS et les États-Unis se faisaient la guerre par procuration (war by proxy), des Russes et des Américains s’affronteraient directement dans l’espace de bataille.
Mais il n’y a pas que la Pologne qui pourrait invoquer l’article 5. Les pays baltes – Estonie, Lituanie et Lettonie – sont aussi en état d’alerte à l’heure qu’il est. Après la Pologne, la Hongrie et la République Tchèque (en 1999), ils ont été dans les premiers à rejoindre l’OTAN, pour marquer une rupture claire avec l’ex-URSS.
Poutine aimerait voir les pays baltes revenir dans le giron de Moscou, ce qui est impensable pour les citoyens des 3 pays. Avec le conflit en Ukraine, même la Finlande et la Suède commencent à penser à rejoindre l’Alliance, afin de protéger leur mode de vie.
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Tous s’accordent pour dire que l’avenir est très incertain et que le conflit pourrait facilement déborder. Poutine est le seul à savoir jusqu’où les Russes vont aller.
Certains analystes se demandent si Poutine a perdu la boule. En relations internationales, on nous enseigne à traiter les chefs d’état comme des êtres rationnels, c’est-à-dire qu’ils analysent la situation et font des choix en fonction de leurs intérêts. On peut penser tout le mal qu’on veut de Mao, Staline et même Hitler, mais à défaut d’être des personnes avec un sens moral, ils agissaient généralement de façon rationnelle, c’est-à-dire qu’ils calculaient leurs prochaines actions en pesant le pour et le contre. Et rationnel ne veut pas dire raisonnable. Les trois tyrans cités plus haut avaient un système moral bien différent du commun des mortels, on s’entend là-dessus.
Quand on pense à des dirigeants fous, on pense à Caligula, dans la Rome Antique, ou plus récemment à Idi Amin Dada, en Ouganda, qui étaient tous deux carrément déments. Trump, lui, est juste con. Mais je digresse.
Poutine, donc, cherche par cette guerre en Ukraine à obtenir quelque chose. De un, il veut que l’Ukraine s’abstienne de demander à rejoindre l’OTAN, ce qui est pratiquement déjà acquis au point où nous en sommes. De deux, il veut obtenir l’indépendance de certaines régions russophones de l’est, ce qui ne saurait tarder. De trois, il veut renverser Zelensky et installer un régime pro-Moscou, ce qui devrait malheureusement aussi se produire dans les prochains mois.
Est-ce que Poutine veut entrer en guerre contre l’OTAN? Je ne crois pas. Mais comme je l’écrivais dimanche, les guerres ont leur propre logique qui échappe aux partis impliqués. Dans l’armée on nous apprend qu’aucun plan ne survit au premier contact; ou, pour citer Mike Tyson, « everybody has a plan until they get punched in the face ».
Poutine a reçu son poing dans la figure, reste à savoir comment il va entreprendre le deuxième round.