Réflexions sur la guerre en Ukraine

On sait comment une guerre débute, mais on ne sait jamais comment elle va finir. Les guerres ont leur propre logique qui échappent souvent à ceux qui les initient. 

Un soldat ukrainien cherche des ogives non explosées après l’attaque sur Kyiv.

Poutine croyait conquérir l’Ukraine sans trop de problèmes et nous voilà, trois semaines plus tard, dans un enlisement graduel du conflit. Pourtant reconnu comme un fin calculateur, Poutine a commis plusieurs erreurs stratégiques:

De un, il a surestimé la capacité de ses propres troupes. Depuis plus de 20 ans, l’armée russe se rééquipe, se dote de matériel plus récent. Il faut dire que les forces russes partaient de loin, suite à la chute de l’Union Soviétique. Ils n’ont pas réussi à soumettre les indépendantistes tchétchènes lors de première guerre dans la région (1994-1996). Au tournant du siècle, avec l’arrivée de Poutine au pouvoir, ils ont relancé une offensive en Tchétchénie, mais à quel prix? Pas un bâtiment n’a été épargné dans la capitale Grozny, à un tel point que les Nations Unies l’ont qualifié de « ville la plus détruite sur terre ». 

Grozny en 1999. Kyiv pourrait fort malheureusement ressembler à ceci dans quelques mois.

On pourrait croire qu’avec leurs nouveaux chars et leurs nouveaux avions, les Russes sont aussi plus compétents, mais ça ne semble pas être le cas. Ils utilisent toujours la même vieille stratégi, celle des Soviétique, qui préconise la masse, l’emploi massif de l’artillerie, des missiles et du bombardement aérien sur les positions ennemies aussi bien que sur les civils. L’armée russe n’est pas intéressée – et n’est pas apte – aux frappes chirurgicales qui visent à limiter les dommages collatéraux. Et malgré tout cette puissance de frappe, les Russes peinent à soumettre l’opposition.

Ce qui m’amène à la deuxième erreur de Poutine, celle d’avoir gravement sous-estimé la résistance du peuple ukrainien. Je sais que c’est cliché, mais on parle vraiment de David contre Goliath tellement il y a un débalancement dans les forces en présence. Les Ukrainiens se battent avec l’énergie du désespoir face à des soldats russes qui ont l’air de se demander ce qu’ils font là. Volodymyr Zelensky, le comédien-président devenu président-lion, symbolise à merveille le courage et la détermination des Ukrainiens à protéger leur mode de vie démocratique, difficilement acquis au cours des 30 ans qui ont suivi la chute de l’URSS.

Zelensky et ses ministres montrant à toute la planète ce qu’est le vrai leadership.

Les Ukrainiens impressionnent, certes, mais malheureusement cela ne veut pas dire qu’ils vont triompher de l’envahisseur. Poutine dispose de nettement plus de ressources et il ne semble avoir aucun scrupule à les utiliser pour renverser Zelensky et installer un gouvernement fantoche. Chaque matin, je crains d’apprendre que le président a été capturé ou tué. Son courage personnel est plus que louable, mais i faudra un jour qu’il accepte les propositions d’évacuation, au risque de devenir un martyrpour l’Ukraine – lui et sa magnifique famille.

La troisième erreur de Poutine, et cela va en surprendre certains, a été de sous-estimer la détermination de l’Occident. L’OTAN ne va pas établir une zone d’exclusion aérienne (je reviendrai sur les raisons plus loin), mais la réponse à l’invasion montre bien que l’Occident ne compte pas demeurer les bras croisés. Les sanctions économiques importantes font mal aux oligarques et le rouble est en chute libre. Ce qui est particulier dans ce conflit c’est que les mesures punitives ne proviennent pas seulement des états mais aussi des entreprises qui suspendent de leur propre chef leurs transactions avec la Russie. 

L’importante fourniture d’armes à l’Ukraine est aussi jubilatoire que surprenante. Le message à Poutine est clair : l’Europe/l’OTAN ne veut pas, ne peut pas attaquer directement l’envahisseur, mais elle n’hésitera pas à armer les ukrainiens.

Ce qui m’amène à parler de la proposition d’établir une zone d’exclusion aérienne : ceux qui militent en sa faveur ne semblent pas bien comprendre toute l’implication d’un tel geste. Il s’agirait d’un acte de guerre, ni plus moins, car pour établir et maintenir la « bulle » au-dessus du territoire ukrainien il faudra forcément s’en prendre aux avions russes et à leur défense anti-aérienne.

La zone d’exclusion aérienne est une fausse bonne idée qui risque de faire déborder le conflit.

La triste réalité est que l’Occident doit tout faire en son pouvoir pour éviter que la guerre ne déborde des confins de l’Ukraine.

C’est ce que dicte la realpolitik.

Le gouvernement américain, en particulier, est pleinement conscient du fait qu’il marche sur une corde raide. Biden doit se demander tous les jours comment intervenir de façon efficace sans entraîner la planète dans une guerre qui pourrait avoir des répercussions effroyables.

Poutine, dans sa logique de bully, n’hésitera pas à frapper des centrales nucléaires et des hôpitaux. Il sait que le reste du monde rechigne à l’idée d’entrer en guerre. Le potentiel de débordement du conflit est trop grand et les risques augmentent au fur et à mesure que l’armée russe s’approche des frontières des pays membres de l’OTAN. Je ne serais pas surpris que des bombes russes tombent bientôt sur la frontière polonaise. 

Malgré toutes les provocations, il faudra faire preuve de retenue : pour la simple raison que la Russie possède la bombe atomique.

Je ne veux pas sonner alarmiste, mais tout ceci est inquiétant. Poutine a prouvé maintes fois que, lorsque provoqué, il a pour réflexe de doubler la mise. De plus, il ne comprend que la force et la victoire, alors il ne pourra se résigner à simplement retirer ses troupes sans pouvoir sauver la face auprès du peuple russe. Sans compter que le dictateur a presque 70 ans, pas vraiment de famille, et que s’il décide qu’une frappe nucléaire, même tactique, peut lui être bénéfique, je crains que rien ne l’en empêche. 

Comme je l’écrivais d’entrée de jeu, personne ne sait comment cette guerre va finir, pas plus Poutine que nous. Malheureusement, même les guerres dites limitées tendent, lorsqu’elles s’enlisent, d’évoluer vers une logique de guerre totale.

***

J’aimerais terminer cette réflexion sur une note positive, mais cette guerre dont personne ne voulait, sauf Poutine lui-même, n’augure rien de bon. Je suis par contre convaincu que la solution à ce conflit sur le sol ukrainien passe par Moscou. Je ne crois pas à un soulèvement populaire; les masses russes ne peuvent renverser le Kremlin, ils sont victimes de désinformation et ne peuvent s’organiser sous l’emprise d’un gouvernement quasi-totalitaire. Les oligarques par contre, ceux qui permettent à Poutine de gouverner, peuvent avoir une influence réelle sur l’issue du conflit. Et la pression sur les oligarques passe par leur portefeuille parce qu’eux, ils ne comprennent qu’une seule et unique chose, c’est l’argent. Et l’argent, c’est bien connu, est le nerf de la guerre.

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