À peu près personne ne le savait, sauf ma conjointe et quelques proches, mais je sors à peine d’un long tunnel noir d’anxiété et de dépression. Ça fait exactement 1 an et 8 mois que je porte un masque, que je prétends bien aller alors que, en réalité, ça ne va pas du tout par en dedans.
Les débuts
Tout ça a débuté par une crise de panique le 13 août 2022 précisément. Je suis en Gaspésie pour un gros, gros party de famille qui va durer 3 jours. Je suis en train d’écrire les scores au Scrabble quand, tout à coup, ma main se met à trembler et je sens la panique monter en moi, sans aucune raison. Je ne peux plus écrire lisiblement tellement je tremble alors je donne mon crayon à ma soeur, prétextant que j’écris en patte de mouche. Regardant ma feuille, elle confirme que c’est la pire écriture qu’elle n’a jamais vue… Je suis complètement submergé par la peur, je regarde le plancher, complètement effaré. Personne n’a rien vu, je l’ai su plus tard, mais moi j’avais l’impression que j’étais transparent, que tout le monde percevait mes émotions, un symptôme très commun dans les attaques.
J’ai déjà eu quelques attaques par le passé (j’en parlerai dans un article subséquent), mais cet épisode-là m’a complètement déboussolé. J’ai eu une attaque entouré de ceux que j’aime, il n’y avait aucune menace, seulement de l’amour! C’étaient mes deux filles et ma tante. Dans les jours suivants, j’étais obsédé par l’incident. Mon raisonnement a été le suivant: si ça m’arrive dans un milieu plein d’amour, ça peut m’arriver N’IMPORTE OÙ, N’IMPORTE QUAND. A partir de là, je me suis mis à ÉVITER (grosse erreur!) de prendre un crayon car le tremblement revenait automatiquement — il revient encore aujourd’hui.
Quelques semaines plus tard j’étais en Arkansas sur un contrat avec des collègues, des amis. Après notre arrivée dans l’état nous sommes allés dans un restaurant, le Golden Corral, un de ces buffets américains qui mise sur la quantité, certainement pas la qualité! On doit payer en entrant, on reste le temps qu’on veut. Dans la file pour payer, devinez quoi, une autre attaque. Je tente de me calmer (sans me sauver, sans éviter la situation, je sais alors que c’est la pire stratégie), mais je tremble tellement que je ne peux manger le contenu de mon assiette avec ma fourchette –je tremble encore aujourd’hui avec ma fourchette, mais c’est « gérable, » disons.
Le purgatoire
A partir de là, c’est la débandade. Vous vous dites probablement: « Wow, il réagit pour rien, il est complètement paranoïaque! » Je ne peux vous contredire, c’est exactement ce qui est arrivé: j’étais OBSÉDÉ par mes mains. J’étais constamment en état d’hypervigilance; mon cerveau émotionnel scannait constamment les symptômes physiques, psychologiques et environnementaux pour percevoir une menace (réelle ou imaginée). Ma formation d’officier de renseignement ne me rend pas service: de un, je sur-analyse les données et, de deux, je suis entraîné pour anticiper les pires scénarios. Je n’écris pas ça pour me vanter, vous vous en doutez, mais si vous continuez à lire vous allez comprendre pourquoi je partage ce problème de santé mentale, car c’est bien de ça qu’il s’agit.
Voilà donc que je stresse AU MOINS 3 fois par jour, soit au déjeuner, au diner et au souper. Trente minutes avant chaque repas, je suis obsédé par l’idée que je vais faire un fou de moi, que je ne pourrai plus manger avec une fourchette… Je cache du mieux que je peux mes tremblements, devant mes propres enfants! Il m’arrive même de trembler quand je mange seul. L’amygdale dans mon cerveau est déréglée: elle envoie une alarme quand il n’y a aucun danger réel; c’est comme un système d’alarme à feu qui se déclenche pour une toast brûlée.
Tout ça peut sembler comique, mais pour moi ce ne l’est pas. Je souffre. Je souffre en silence, seule ma conjointe est au courant. Pour ce qui est de mes tremblements, jamais personne ne s’en rend compte. Jamais. Mais je sais, je SAIS, que ce n’est qu’une question de temps avant que quelqu’un le remarque. Je me perçois comme un imposteur, un peureux, un FAIBLE. J’ai horreur de ce feeling, de ce dernier mot particulièrement (être faible). Je n’en dors plus la nuit. Moi qui ai été officier d’infanterie, officier de renseignement, moi qui a vécu deux déploiements opérationnels, fait un tour du monde d’une année avec 3 jeunes enfants, moi qui suis instructeur pour les Forces Spéciales, je suis maintenant un FAIBLE, qui n’ose plus rien faire de ses mains car je tremble constamment.
La descente aux enfers
Je suis dans un long tunnel noir et je me bats contre mon anxiété, croyant que c’est la clé pour en sortir. Ce que je ne sais pas, c’est que je ne fais que creuser plus profondément et que je m’enfonce. J’arrive encore à aller au restaurant, mais j’applique une technique infaillible que j’ai découverte: je prends de l’alcool pour faire cesser les tremblements. Le problème avec mon truc c’est que ça me prend de plus en plus d’alcool pour faire diminuer les tremblements. Pas de trouble, je me saoule allègrement. Même à la maison, j’ai caché un shooter de 2 onces et je prends de l’alcool fort en cachette avant le souper. Ça atténue les tremblements et je me sens bien, mais ça ne dure pas… Il faudrait que je prenne des shots à toutes les heures pour enlever la douleur qui est maintenant constamment présente dans mon plexus solaire.
Quand je pense que j’ai touché le fond (de la honte, de l’anxiété), je réalise qu’il y a pire encore: ma confiance en moi est pulvérisée. Mon cerveau me dit constamment que je suis un peureux, un bon à rien. Je travaille principalement de la maison, pour éviter les interactions avec les collègues. Quand je vais au bureau, je mets mon masque d’homme confiant et sûr de lui, et personne ne soupçonne jamais rien. Mais moi je sais que je suis un imposteur. C’est un sentiment fort, comme je n’ai jamais senti auparavant. Ma perception est plus importante que la réalité, car, en réalité, je performe toujours bien. Malgré mes succès professionnels, je n’arrive pas à reprendre confiance et j’ai une faible estime de moi.
Au printemps 2023, j’ai perdu goût à la vie. Je peux passer des dizaines d’heures dans le lit, sans dormir pour autant. Je ne vois aucun intérêt à me lever. Est-ce que je continue à avoir un semblant d’interactions sociales? OUI, et c’est ce qui va me sauver. Je sais que la guérison passe par l’EXPOSITION. Alors, sans initier aucune sortie moi-même, je réponds oui, systématiquement, à tous ceux qui m’invitent à des événements. Je mets mon masque et prétends que tout va bien. Je dis oui, aux invitations car si je refuse, je sais que ce sera encore plus difficile de sortir la prochaine fois.
Je rencontre psychologues et psychiatres. J’abuse des médicaments qu’on me donne — parce que oui, quand tu dis à un docteur que tu penses en finir avec la vie, il te met sous médication. Somnifères, anti-dépresseurs, anxiolytiques, je deviens un expert pour me faire des cocktails efficaces. Ma conjointe cache les médicaments, elle me donne seulement les doses recommandées. Qu’à cela ne tienne, je vais me chercher du cannabis (CBD) pour me calmer et des Gravols pour dormir (Elle finira par trouver les Gravols, jamais le CBD).
Les idées noires
J’ai appelé deux fois le Centre de prévention du suicide. Pourquoi est-ce que je songeais à me suicider? Parce que j’étais passé d’une personne confiante, avec une bonne estime de moi, à une épave (dans ma tête, on s’entend!) souffrant d’anxiété sociale, du trouble d’anxiété généralisée, et d’attaques de panique régulière. Aussi, aussi, parce qu’en tant qu’homme de ma génération j’aborde les problèmes de santé mentale selon seulement deux angles: soit je me guéris moi-même, soit je me tire une balle.
J’ai honte de l’écrire, de le penser même, mais il fut un temps où je m’étais rationalisé sur ma propre mort: Je me disais que mes 3 plus vieux étaient assez grands pour vivre sans moi, et que la petite en viendrait à s’habituer à vivre sans papa. C’est abominable de penser ça. Quand je l’ai annoncé à ma psychologue, j’ai vu qu’elle a eu un tressaillement, elle qui en a pourtant entendu d’autres.
La lumière au bout du tunnel
Pendant longtemps, je ne voyais pas la lumière au bout du tunnel. Pire encore, quand je voyais une lumière, c’était un train qui fonçait sur moi à toute vitesse pour me passer sur le corps. Vous vous demandez probablement à ce point-ci comment ça va finir… A force d’essais et erreurs, j’ai découvert que ce sont l’exposition, la bonne thérapie, la médication (en partie seulement), et l’écriture qui ont été MES clés pour arrêter de creuser et enfin trouver la sortie du tunnel. Mais il manquait toujours un ingrédient, l’ingrédient principal pour moi, ma clé maîtresse: l’ACCEPTATION. J’en ai fait des lectures, j’en ai regardé des vidéos sur YouTube, j’en ai fait des thérapies, et l’élément central qui était toujours là et que je ne voulais pas voir c’était l’acceptation. Je ne voulais pas accepter l’anxiété, je voulais la combattre. Accepter, ça voulait dire pour moi baisser les bras, ça voulait dire mariner dans mon mal de vivre jour et nuit. Mes lectures m’ont fait réaliser qu’en laissant l’anxiété rester en moi et en m’engageant à fond dans des tâches où activités, j’aurais enfin un peu de répit. J’ai aussi finalement compris ce qu’on appelle la défusion avec les pensées, soit le fait de prendre une distance par rapport aux pensées, les laisser aller et venir allègrement, sans jamais tenter de les bloquer. Ça a été essentiel pour moi afin de reprendre des interactions normales avec mon entourage.
J’ai aussi découvert une thérapie qui a fonctionné pour moi; elle s’appelle ACT, pour Acceptance & Commitment Therapy. Elle porte bien son nom, c’est littéralement la thérapie de l’ACCEPTATION et de l’ENGAGEMENT. J’y reviendrai dans les conseils dans le prochain article. Loin de moi l’idée d’avoir l’air d’un gourou, mais cette thérapie a fonctionné pour moi.
Dans mon tunnel, alors que j’avais perdu tout espoir, j’ai réalisé que je n’étais pas seul. Ma conjointe a été à mes côtés tout le long. Elle m’a guidé par ses conseils, elle m’a suggéré des lectures, elle m’a écouté, sans s’apitoyer sur mon sort. Elle n’a jamais baissé les bras, elle ne m’a jamais abandonné, même si ma condition avait des impacts sur elle et sur notre vie familiale. Elle a été mon phare, mon pilier central. Ça peut paraître cliché mais, sans elle, je ne sais pas si je serais ici aujourd’hui. Je lui en serai éternellement reconnaissant.
J’ai caché mon trouble mental aux enfants pendant longtemps, je voulais les épargner, et je ne voulais pas qu’ils voient en moi un faible. Quand j’ai finalement trouvé le courage de leur expliquer ma situation, ils ont tous réagi de la même façon. Ils m’ont dit: « Je suis triste pour toi papa, je ne savais pas ça. Est-ce qu’il y a quelque chose que je peux faire pour t’aider ». Ils ne m’ont pas jugé. Je suis tellement fier d’eux.
La sortie du tunnel
Ça fait seulement quelques semaines que les choses se replacent dans ma tête, dans ma vie. Depuis un mois environ, le moral est revenu, même si le sommeil est encore difficile. Je ne prends plus de somnifères depuis une semaine, moi qui gobais à toutes les nuits des doses supérieures à celles recommandées par le fabricant. Je retrouve ma confiance en moi et j’ai repris goût à la vie. En fait, j’ose à peine l’écrire, je suis tellement bien que je me demande parfois si je n’ai pas un côté bipolaire. Mon entourage et mes thérapeutes m’ont rassuré là-dessus: je n’exhibe pas les signes et symptômes d’un maniaco-dépressif. J’ai seulement une forte envie de vivre. Je vais tellement bien qu’on dirait que les journées passent trop rapidement! Je dors peu, mais c’est ce que j’appelle de l’insomnie d’enthousiasme. Je me dis, en blague, qu’après avoir souffert d’insomnie pendant 18 mois: sleep is overrated. C’est comme si je voulais rattraper tout le temps perdu ces derniers mois. J’ai trop de projets pour les 24 heures de la journée. L’un de ces projets, c’est justement de DONNER AU SUIVANT. Ce sera le sujet principal de la partie 2. Merci de me lire, et svp partagez si vous pensez que ça peut rejoindre ne serait-ce qu’UNE SEULE personne. Sharing is caring.
Merci de partager si généreusement.
Merci Roger de prendre le temps de mettre un commentaire sur le blogue.
Merci, Eric. J’ai raconté ton histoire à mes ados; j’ai eu une réaction immédiate de mon garçon qui en a bavé depuis un an. Il a compris tout de suite le concept de masque avec lequel il jongle depuis un bon bout de temps. Le CMR nous a beaucoup donné, mais nous a pris aussi… J’aurais voulu avoir un père en mesure de me supporter au moment où je dépassais mes limites mais n’avait pas de coping mechanism constructifs. J’ai flirté avec le tunnel aussi et c’est un endroit où se sent bien seul. L’écriture et la patience de mes amis proches m’ont sauvé. Bon 24 heures à toi, Eric.
Merci Martin, ça me touche beaucoup que tu aies partagé mon article avec tes ados car je veux que les gens sachent qu’il ne faut pas souffrir en silence. De rejoindre des jeunes, c’est encore plus gratifiant. Oui, le passage dans l’armée ça laisse des marques. Je songe à écrire un article là-dessus. Bien content que tu ne sois pas entré dans le tunnel.
Cher ami,
Je n’ai que de la compassion et de l’amour à t’envoyer à profusion.
Je suis passée par les mêmes affres que toi, après des années de souffrance à devoir gérer une situation intenable pour un seul être. Je me suis effondrée. Pour ma part, j’ai développé beaucoup d’anxiété sociale; je n’arrivais plus à sortir sauf lorsque j’en étais obligée pour nourrir mes enfants, j’ai coupé les ponts avec mes amis, moi qui étais si sociable, j’ai perdu des gens que j’aimais. Il m’a fallu plusieurs années pour m’en sortir, une bonne médication et une psychologue en or, que je consulte à l’occasion lorsque la vie devient difficile, mais j’ai repris goût à la vie, je suis heureuse d’être en vie.
Je vis toujours beaucoup d’anxiété, du plexus solaire à la fibre de tous mes nerfs, qui souffrent violemment, je bois beaucoup trop d’alcool pour éviter de souffrir, je consomme des gummies de CBD pour dormir, mais je suis heureuse d’être là aujourd’hui. Pour mes enfants. Pour ceux qui m’aiment. Parce que j’aime la vie.
Courage pour la suite. Tu as fait un travail exceptionnel.
Merci pour ce témoignage important.
Véronique ________________________________
Merci Véronique, votre témoignage va toucher plusieurs lecteurs et lectrices. L’anxiété sociale, c’est sournois, je le sais pour l’avoir vécu, moins longtemps que vous certes. Au début, on dit non à un événement, puis un autre, et puis on s’abstient d’inviter des amis, et pendant tout ce temps le stress ne fait qu’augmenter, la peur d’avoir une attaque en public, la peur d’avoir l’air fou s’installe. Il faut briser ce cycle et éviter l’évitement, j’en parlerai dans la partie 2.
J’ai appris tôt dans mon tunnel que Exposition + Acceptation = Guérison, mais je n’arrivais pas à me résoudre à ACCEPTER ma condition. Maintenant je sais que ça a été la clé maîtresse pour moi.
Merci du partage et revenez pour la partie 2!
Ton texte me touche énormément.
Je suis diagnostiquée anxiété généralisée depuis ma première dépression après l’accouchement de ma fille il y a 24 ans. Je me suis reconnue dans tes mots. Merci Eric
Merci Mélanie. Tu n’es pas la seule à souffrir, nous sommes des millions de « maganés de la vie », comme je nous appelle avec affection. Un TAG n’est pas une condamnation à vie. Cet état là ne te définit pas. Tu es une personne complexe, une personne entière, et ton anxiété n’est qu’une infime partie de toi. Abonne-toi à mon blogue pour lire les prochains articles et ne baisse pas les bras. Eric
Ce que tu écris est vraiment inspirant! Combien de gens se renferment dans leur propre prison de pensées négatives et s’enfoncent à force de ruminer leurs fausses illusions… C’est tellement triste. Tout n’est qu’une question de perception et on en développe des troubles anxieux, de la dépression, des troubles de santé mentale…
Bravo d’être sorti de ta prison! D’en avoir parlé est un pas de géant qui te permet de constater que ce ne sont pas les autres qui te jugent, tu le faisais toi-même… Continue d’être fier de qui tu es et de te créer des projets qui t’apportent la joie de vivre! Tu as une superbe lumière en toi qui ne demande qu’à briller! Laisse passer les nuages noirs de stress, de peur, d’angoisse, de découragement, de colère ou autre et recherche toujours ta vraie lumière pour continuer d’avancer dans la paix et la joie!
Je suis bien impatiente de lire la suite!!!
Bonne continuité!
Ce que tu écris est vraiment inspirant! Combien de gens se renferment dans leur propre prison de pensées négatives et s’enfoncent à force de ruminer leurs fausses illusions… C’est tellement triste. Tout n’est qu’une question de perception et on en développe des troubles anxieux, de la dépression, des troubles de santé mentale…
Bravo d’être sorti de ta prison! D’en avoir parlé est un pas de géant qui te permet de constater que ce ne sont pas les autres qui te jugent, tu le faisais toi-même… Continue d’être fier de qui tu es et de te créer des projets qui t’apportent la joie de vivre! Tu as une superbe lumière en toi qui ne demande qu’à briller! Laisse passer les nuages noirs de stress, de peur, d’angoisse, de découragement, de colère ou autre et recherche toujours ta vraie lumière pour continuer d’avancer dans la paix et la joie!
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