Le deuxième mandat de Trump

A moins d’un revirement de situation inattendu – i.e., Biden cède sa place et les Démocrates se rallient e un(e) candidat(e) – on s’aligne vers un autre quatre ans avec Donald J. Trump à la tête de la plus grande puissance mondiale. En 2016, on pouvait penser – s’illusionner, réellement – qu’il allait changer pour le mieux, qu’il allait agir pour les intérêts de la nation américaine. Après avoir vu le chaos qu’il a semé durant ses quatre années au pouvoir, il n’y a plus aucun doute possible: les seuls intérêts qui comptent sont les siens.

Comment Trump perçoit l’Amérique

Avant de s’avancer sur les politiques éventuelles de Trump, il est bon de considérer comment il perçoit les États-Unis d’aujourd’hui. Selon son site web, la liberté d’expression n’est plus autorisée, la criminalité est plus répandue que jamais et les terroristes envahissent la frontière sud. La nation américaine serait même hostile à la liberté, à l’indépendance et à la foi.

Internationalement, il croit que Biden a permis à la Russie d’envahir l’Ukraine, la Chine de menacer Taïwan et l’Iran de construire une arme nucléaire. Toutes ces menaces étaient présentes lors de sa propre présidence, mais évidemment il n’en dit pas un mot.

Selon Trump, le gouvernement « corrompu » (ses mots) a détruit le pays. C’est une vision pour le moins pessimiste de l’Amérique, jamais exprimée comme tel par un président ou un candidat à la présidence, dans toute l’histoire de la nation.

En réalité, ce qu’il constate et déplore, c’est le recul de la suprématie de l’homme blanc en Amérique. Lui, et plusieurs de ses constituants, ne tolèrent simplement pas que les femmes, les noirs, les hispaniques et les LGBTQ+ prennent plus de place dans la société.

Que voudra donc faire Trump pour remédier à ces prétendus problèmes? Quel est son agenda, caché ou avoué? Que va-t-il faire pour « rendre à l’Amérique sa grandeur » (« Make America Great Again »)? Si on se fie à son premier mandat et à ses énoncés politiques, on peut envisager ce qui suit.

Utiliser les organes de l’état à ses fins

Pour un homme qui s’inquiète à un tel point de l’état de sa nation, il y a fort à parier que l’un de ses premiers gestes en fonction sera de s’attaquer à ses adversaires politiques. Il a menacé plusieurs fois, sur son réseau Truth Social, d’utiliser les pouvoirs de l’état pour enquêter sur la présidence de Biden, pour l’inculper, lui faire subir des raids du FBI et même l’envoyer en prison. Ses menaces se sont étendues à des sénateurs, des juges et des membres de la famille Biden. En gros, Trump va utiliser le département de la justice pour une vendetta personnelle; c’est dans le playbook de tout bon dictateur. Tout ceci est contraire à la conviction profonde que la loi n’est pas un instrument à des fins partisanes.

Ce qui est encore plus effrayant c’est qu’à la suite du jugement récent (Trump vs the United States), il pourra utiliser les organes de l’état pour toute lubie qui lui vient à l’esprit, sans risque de poursuite judiciaire, puisque la cour suprême lui a accordé l’immunité s’il agit selon les fonctions officielles dictées par sa présidence.

It’s the economy, stupid!

Au niveau économique, on peut s’attendre à l’imposition de tarifs élevés sur les exportations étrangères ainsi qu’à de nouvelles réductions de taxes pour les plus riches. On pourrait se demander, à juste titre, pourquoi nombre d’Américains sont favorables à ce qu’on réduise l’impôt des mieux nantis? Cela tient à deux raisons. Premièrement, la croyance relève du fameux rêve américain: l’américain moyen croit fermement qu’un jour il sera au sommet de la pyramide et qu’il pourra alors profiter des réductions de taxes. Deuxièmement, nombre d’Américains croient encore à ce qu’on appelle le trickle-down economics, littéralement « l’économie qui dégouline vers le bas ». Cette théorie soutient que les avantages économiques et fiscaux accordés aux entreprises et aux riches se répercutent progressivement sur l’ensemble de la société, en favorisant la croissance économique et en améliorant le niveau de vie de tous, y compris les classes inférieures. Cette théorie, popularisée sous Reagan, a été réfutée par de nombreuses études, et pourtant nombre de Républicains y adhèrent aveuglément.

L’avortement

Bien qu’étant probablement fondamentalement pro-choix, Trump va être poussé par sa base très conservatrice à faire reculer encore plus les droits des femmes à disposer elles-mêmes de leurs corps. Le projet 2025, un agenda ultra-conservateur concocté par une foule de Trumpistes, demande l’arrêt de la vente de pilules pour l’avortement. Le même projet, désavoué officiellement par Trump, appelle au licenciement de milliers de fonctionnaires, à l’expansion du pouvoir du président, au démantèlement du Département de l’Éducation, à l’interdiction de la pornographie, et bien plus encore. Un vrai agenda conservateur comme sa base les aime.

La fascination de Trump pour l’appareil militaire

Sur le plan intérieur, Trump a dit qu’il comptait déployer la Garde Nationale pour rétablir la loi et l’ordre dans les villes – considérées pro-Démocrates, faut-il préciser. On pourrait croire que ce sont encore des paroles à l’air, si ce n’était que Trump a déployé des troupes en 2020, à Portland et à Washington DC notamment, sans l’autorisation des états. Considérant les tensions préexistantes dans la société américaine, ce scénario donne froid dans le dos.

Internationalement, bien que Trump se soit montré réticent à utiliser les forces américaines à l’étranger, il a dit, à de nombreuses reprises, qu’il utiliserait l’armée pour contrer l’immigration illégale à la frontière sud et pour s’attaquer aux cartels de la drogue. Ce ne sont pas des rôles traditionnels pour les forces militaires; les autorités militaires sont réticentes à l’idée de combattre l’immigration illégale et la drogue, car les forces ne sont pas formées pour ça. Les risques de bavure sont grands; quand on marche avec un marteau dans les mains, tout ressemble à un clou. C’est l’autre côté de la médaille lorsqu’on privilégie l’option militaire.

Les nouveaux alliés

Trump considère l’OTAN, qui vient de célébrer en grande pompe son 75e anniversaire, comme une relation de parasitisme où un organisme, le parasite, vit aux dépens d’un autre organisme hôte, dont il tire avantage sans procurer de bénéfice significatif en retour. Pour lui, tout ce qui compte c’est la contribution financière des Alliés. Il a même été jusqu’à dire, tout récemment, qu’il encouragerait la Russie à « faire ce qu’elle veut foutrement » (« do whatever the hell they want ») à tout pays de l’OTAN qui ne paie pas assez.

Face à la Russie, justement, Trump a dit qu’il comptait conclure un accord avec Poutine vis-à-vis l’Ukraine. Qu’est-ce que ça veut dire, au juste? En gros ça signifie qu’il va réduire considérablement l’aide à l’Ukraine et forcer Zelenski à la table de négociations afin de concéder des territoires à la Russie. Ce que Trump ne semble pas comprendre, bien que ce soit une évidence même, c’est que, par la suite, Poutine sera libre d’agir comme il veut pour s’approprier, lentement mais sûrement, le reste de l’Ukraine. Les ambitions de Poutine vont ensuite se tourner vers les pays limitrophes à la Russie. Ce que Trump appelle un « deal », c’est en réalité une politique d’apaisement comme le premier ministre anglais Chamberlain l’a pratiqué avec Hitler en 1938, avec toutes les conséquences dévastatrices qui ont suivies.

Les dictateurs de ce monde (Poutine, Xi Jingpin, Kim Jong-Un) mais aussi les « hommes forts (Viktor Orbán en Hongrie, Recep Tayyip Erdoğan en Turquie, et même Narendra Modi en Inde) vont en conclure, à juste titre, qu’ils peuvent poursuivre leurs propres ambitions sans trop de risque d’intervention américaine. Ils ont compris que tout est personnel pour Trump, alors ils vont tenter de développer des liens d’amitié avec le Président, ce qui sera d’autant plus facile que Trump a longtemps avoué son admiration pour les leaders au style autoritaire. Ça va être beau.

Le chaos, encore le chaos

Quand on jette un regard sur le premier mandat de Trump, il est difficile de cerner une politique, une idéologie ferme. Trump est un opportuniste qui est à son meilleur dans le chaos. À la Maison-Blanche, comme dans les différents départements et ambassades, personne ne savait sur quel pays danser. C’est ce que Trump apprécie, c’est l’une des raisons pour lesquelles il fait toujours la une: on ne sait jamais à quoi s’attendre avec lui. Ça fonctionnait peut-être avec ses entreprises – j’en doute – mais ce n’est certainement pas une stratégie gagnante à la tête d’un pays, encore moins à la tête d’un pays qui a des ambitions et des devoirs aussi importants que les États-Unis d’Amérique.

Il faut porter attention aux mots que Trump utilise. Même ses blagues les plus abjectes contiennent un fond de vérité et ont pour but, à la longue, de légitimiser un message qui apparaît aberrant à prime abord. Trump a de la graine de dictateur. Lorsqu’il rencontrera de la résistance de la part du Congrès ou des juges, il risque fort d’utiliser la rue pour mettre de la pression sur les différents organes du pouvoir. Espérons que les institutions américaines seront assez solides pour résister à ses assauts journaliers pendant les prochains quatre ans.

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