Chaque village avait son fou

Jadis, au Québec, chaque village avait son fou. Chez nous, c’était Grand Galop. Pas le village, le fou.

Le village c’était Forestville, sur la Côte-Nord. Forestville, c’est la deuxième lumière à l’est de Québec. Quatre heures à l’est de Québec. On n’en est pas peu fiers de cette lumière. Il y a en une à la Malbaie, et la deuxième, c’est la nôtre. On appelle ce carrefour « le quatre chemins ». Ce n’est pas un carrefour célèbre, mais c’est notre carrefour.

Pourquoi je parle du « quatre chemins »? C’est parce que c’est souvent là qu’on y trouvait Grand Galop. Il se promenait en bicyclette rouge dans les rues du village et il s’arrêtait souvent au quatre chemins. Des fois, il s’arrêtait et il fixait le soleil. Sans lunette, sans cligner des yeux. J’ai essayé de le faire, comme lui, en plein jour. Pas réussi à tougher 5 secondes.

Pourquoi il s’appelait Grand Galop, je n’en ai pas la moindre idée. Mais c’est quand même cool comme nom. C’est mieux que l’idiot, ou le retardé, ou autre qualificatif peu édifiant pour décrire l’individu un peu simplet qui arpente le village.

Difficile de décrire Grand Galop. D’abord parce que ça fait plus de 30 ans que j’ai quitté la Côte-Nord. Dans mes souvenirs, et ça me gêne réellement de l’écrire, il ressemblait beaucoup à Plume Latraverse…

J’adore Plume et ses chansons, mais force est de constater qu’il a été, à une certaine époque, le sosie de Grand Galop… Je ne sais pas qui a inspiré qui.

A la différence de Plume par contre, Grand Galop était sale. Très sale. Constamment sale. Je ne me suis jamais approché de lui – je n’aurais jamais osé – mais, de loin, son visage était soit très très bronzé, soit très très sale, parce qu’il était noir. Pas rouge, comme les snowbirds qui reviennent du sud, noir. Imaginez Plume (ici haut) mais avec une bonne couche de crasse sur la peau. Grand Galop était tellement sale qu’un jour les gens du CLSC l’ont « attrapé » et l’ont lavé de force…

Le vrai nom de Grand Galop, je ne m’en rappelle plus, mais je me souviens qu’il en avait un. Un nom ben ordinaire, genre Richard Tremblay, ou peut-être Perron. Il y a beaucoup de Tremblay et de Perron sur la Côte-Nord, donc je suis peut-être tombé sur le bon nom de famille.

Grand Galop avait sa légende, comme tous les fous du village. Paraît que c’était un gars ben normal, du temps qu’il avait un nom normal. Mais un jour, sa blonde est allé dans un bar et elle a dansé avec un autre gars. Ou elle l’a embrassé. Ou il y a eu plus qu’une danse ou une embrassade. En tout cas, il y a une histoire de tromperie derrière ça.

C’est là que Richard est devenu Grand Galop. Paraît que Richard a pris sa scie mécanique, est entré dans le bar et… a coupé toutes les poutres de l’établissement. Non, il ne s’est pas attaqué au prétendant avec sa chain saw. Non, il ne s’en est pas pris à sa copine; il a coupé les poutres du bar. C’est assez particulier.

Richard a disjoncté, et les fils ne se sont jamais reconnectés.

Ce qui s’est passé immédiatement après l’épisode du bar, je le sais pas. Richard, devenu Grand Galop, est allé s’installer dans une vieille cabane à l’extérieur du village. Je dis une cabane, mais encore là c’est un terme trop « luxueux » pour décrire le logis de Grand Galop. C’était plutôt, dans mes souvenirs toujours, une vieille grange désaffectée. Je suis passé devant à vélo quelques fois mais je ne me suis jamais, au grand jamais, approché.

C’est la deuxième fois que je mentionne qu’on ne s’approchait jamais de Grand Galop, et je dois expliquer pourquoi. Les grands nous disaient, ou plutôt laissaient sous-entendre que Grand Galop pouvait être « pas fin » avec les enfants. Concrètement, qu’est-ce que ça voulait dire? Je croyais à l’époque qu’il nous aurait fait subi des sévices dont je n’ose même pas imaginer la nature. Tout petit, j’avais évidemment peur de lui. Plus vieux, avec mes amis, je m’amusais à le narguer quand on le croisait à vélo… Les plus téméraires lui criaient « Grand Galop!! » et se sauvaient en pédalant à toutes jambes.

Je pense pas aujourd’hui que Grand Galop nous aurait fait ben ben mal, s’il nous avait attrapé. Les fous du village sont rarement méchants.

***

Ça fait des années que je ne suis pas retourné à Forestville. Est-ce que Grand Galop y vit encore? Si oui, il ne doit plus être très jeune.

Et vous, c’était qui le fou de votre village?

3 réflexions au sujet de “Chaque village avait son fou”

  1. Eric – It sounds like Forestville was a great place to grow up. Perhaps Forestville was a great place because someone like Grand Galop was there and he was tolerated, albeit taunted occasionally by a teenage Eric Sauve and his mates.
    I think you’re correct, Grand Galop would not have hurt you. He was probably just happy to live his life on the periphery of civilisation without the pressure to conform to that civilisation.

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    • Chip, I am always amazed that you take the time to read and comment on my blog… Especially for an article like this one, full of Quebecisms. I’ll have to go see the Google Translate version again! Thanks for being a faithful reader.

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