Mon épisode de douleur

L’été dernier j’ai vécu un épisode de douleur atroce qui m’a gardé à la maison trois semaines. Je n’aurais jamais crû que mon corps puisse me faire autant mal un jour. Et le tout s’est déclenché pour une raison on ne peut plus banale: une course en poche de patates…

Je ne me suis pas blessé, je ne suis pas tombé; j’ai même remporté la course! Mais une vingtaine de minutes après, j’ai commencé à ressentir une douleur dans le bas du dos. La sensation ressemblait à une inflammation du nerf sciatique, phénomène que j’avais déjà connu auparavant. La douleur s’est accentuée rapidement et, le soir venu, j’avais peine à marcher. Je suis allé consulter une première fois et je suis reparti avec des anti-inflammatoires plus puissants. Mais la douleur a continué de progresser.

La nuit suivante, la douleur dans le dos était tellement forte que j’ai dû appeler une ambulance pour m’apporter à l’hôpital.

Après plusieurs heures à l’urgence, j’ai finalement vu un médecin qui m’a donné une injection de morphine. Vous dire comment ça a fait du bien… Mon visage est devenu soudainement tout chaud, je me suis senti reculer lentement dans le lit, c’était comme si j’entrais dans le lit d’hôpital… wow… J’ai passé une journée presque normale après.

Mais ça n’a pas duré.

Dans les jours qui ont suivi, j’ai souffert le martyr. La douleur est descendue dans ma cuisse gauche et ça faisait tellement mal qu’il m’était impossible de rester debout ou assis. Je passais mes journées couché dans mon lit, ou sur un matelas installé pour moi dans le salon. Le médecin m’avait tout un cocktail de morphine, de Tylenol, d’Advil. Je devais noter les médicaments que je prenais car je venais tout mêlé sur les horaires et les doses. Je crois que j’ai fait le tour de Netflix.

J’étais pris dans un cycle où je ne dormais plus, et le manque de sommeil diminuait mes capacités à endurer quoi que ce soit. Je gémissais constamment, comme un animal blessé.

J’ai tout essayé pour faire cesser la douleur: la physio, l’acupuncture, des traitements douteux à 100$ la séance pour le dos, rien n’en venait à bout. Quand j’appelais un taxi pour me rendre à un traitement, fallait que je précise que je devrais me coucher sur la banquette arrière. Et quand on m’offrait de m’asseoir dans une salle d’attente, je me couchais par terre. Vous imaginez la réaction des autres clients…

Mon épouse, toujours compréhensive mais sûrement un peu exaspérée de mes plaintes, m’a suggéré de pratiquer la méditation. Au point où j’en étais, j’aurais essayé n’importe quoi, alors je me suis dit pourquoi pas. Et boy que ça a marché. Le site Passeport Santé offre une série de balados de type méditation guidée. Je crois que je les ai toutes essayées. Il y en a une spécifiquement pour relaxer avant de s’endormir. Ça fonctionnait tellement bien avec moi que j’avais pratiquement une réaction de chien de Pavlov quand la balado débutait. Au lieu de saliver en attendant mes croquettes, comme les chiens de Pavlov, je salivais littéralement sur mon oreiller, m’endormant la bouche ouverte comme un bébé.

Il y a aussi une balado de « visualisation antidouleur ». Je pensais que ça dirait d’ignorer la douleur, de penser à autre chose, mais non, c’est tout le contraire! La balado débute en disant « ça fait mal », ou quelque chose du genre. « La douleur est là, bien présente ». Vous dire comment ça me parlait! Je me laissais bercer par ces paroles, et je m’endormais. Cette balado spécifique n’aborde pas que la douleur physique, mais aussi psychologique, suite à la mort d’un être cher par exemple. Je suis, encore aujourd’hui, accroc à ces balados et à la méditation en général.

Après une dizaine de jours, ma condition s’est améliorée, un peu. J’avais même trouvé une position pour conduire la voiture: le siège complètement reculé, couché à l’horizontal. Mon épouse est partie sur une conférence pour trois jours, je croyais que je pourrais me débrouiller avec la maison et les enfants. La gaffe.

Deux jours après son départ, j’ai fait une rechute. Une vraie.

C’était un vendredi matin, les enfants venaient de partir à l’école et je devais aller porter la petite à la garderie, à seulement un kilomètre. Mais la douleur est revenue, dans le plafond. J’étais couché sur le divan, incapable de bouger. La petite foutait le bordel autour de moi et je ne pouvais rien faire. La douleur était si forte que je n’arrivais même plus à penser.

Je craquais, littéralement. Il fallait que quelqu’un me sorte de là.

Je me suis mis à pleurer, à chaudes larmes. Surprise, j’ai senti que ma douleur diminuait un peu.

J’ai texté un bon ami à son boulot pour lui demander s’il pouvait m’amener à l’hôpital. Comme il n’était pas au courant de ma condition et il pensait que je blaguais, il persistait à me texter des naiseries… Poliment, j’essayais par texto de lui faire comprendre que c’était sérieux, j’avais vraiment mal! Au bout de quelques minutes, il appelle. Je réponds, en sanglots.

« Oh boy, ça va vraiment pas » qu’il me dit. Non, ça va pas, viens me sortir d’ici s’il-te-plaît…

Je me couche sur la banquette arrière de sa voiture, ça le fait bien rire. En arrivant à l’hôpital, je lui demande d’aller chercher une chaise roulante. Il me regarde, incrédule. Ben oui, ça va me prendre une chaise roulante parce que je pourrai pas marcher jusqu’à la salle d’attente!

Je me tords comme un ver sur la chaise en attendant de passer au triage. La position assise me fait souffrir terriblement, Au bout d’une attente qui m’a paru interminable, on appelle mon numéro. Mon ami pousse ma chaise dans la salle et l’infirmière commence sa série de questions. Je me tords de douleur, je réponds par monosyllabes; j’ai tellement mal que j’arrive à peine à ouvrir les yeux. Puis j’aperçois sur le mur une feuille avec des dessins de visages représentant les différents ressentis de la douleur, de 1 à 10. Le bonhomme avec un sourire, il est à 1. Celui à 10, il a le visage tout crispé. C’est moi, littéralement.

Je dis à l’infirmière que je crois que c’est mon sciatique. Elle me répond: « Monsieur, une sciatique ça fait pas mal de même. »

Finalement, on m’installe sur une civière et en quelques minutes je suis dans une de ces petites salles où on surveille les patients aux soins intensifs. Et je me remets à pleurer. Encore une fois, ma douleur s’amenuise. C’est toute une surprise pour moi. Pleurer est plus efficace que le dérivé de morphine et tout ce qu’on m’a prescrit ces derniers jours.

Une infirmière entre dans la pièce, j’essaie de sécher mes larmes avec mes deux poignets. Je m’excuse, que je lui dis, je craque. Elle me dit que c’est correct, qu’il n’y a pas de honte à pleurer.

A l’hôpital, on m’a finalement diagnostiqué deux hernies discales, dont une très prononcé. Probablement que tout ça a bloqué un nerf dans ma cuisse. Et ma cuisse capote, c’est tout ce que j’arrive à comprendre.

Après cette troisième visite à l’hôpital, on me renvoie à la maison, toujours couché sur la banquette arrière d’un taxi. Les garçons m’installent sur le lit dans le salon. On regarde Rocky, je ne sais plus quel chiffre. Je me concentre tellement intensément sur l’histoire que j’en arrive presque à oublier ma condition. Après le film, je demande aux gars s’ils peuvent m’aider à monter dans ma chambre. « Bien sûr papa! » que me répond Louis, et les larmes se remettent à couler sur mes joues. Ils sont pour le moins surpris, je crois que c’est la première fois qu’ils me voient pleurer. Mais qu’est-ce que ça fait du bien…

Ma douleur a fini par diminuer, petit à petit. Au bout de quelques jours, j’ai pu reprendre le boulot. Mon physio me conseillait de me remettre à l’exercice, mais au début j’avais peur. Peur d’avoir encore mal.

La douleur dans ma cuisse s’est transformée de façon complètement surréaliste. Au bout de quelques jours, je n’avais plus vraiment mal, mais un simple effleurement de la peau sur ma cuisse m’envoyait une douleur épouvantable. Une batterie de tests neurologiques m’ont fait découvrir que le nerf était pratiquement « mort » entre ma hanche et mon genou. En fait, il n’était pas mort, mais il avait été tellement traumatisé – tout comme moi! – qu’il a fallu qu’il réapprenne à interpréter les sensations…

***

Qu’est-ce que j’ai appris de tout ça? Premièrement, que je n’ai plus vingt ans. La première cause de blessures chez les hommes d’âge moyen, c’est de croire qu’ils sont encore jeunes…

J’ai aussi appris la puissance de la méditation. Et que pleurer peut faire du bien. J’ai appris, donc, que l’on possède à l’intérieur de nous-même des ressources, parfois insoupçonnées, qui peuvent nous aider à venir à bout de nos difficultés.

2 Comments

  1. Isabelle

    Eric, désolée pour cette période difficile mais au risque de me répéter – tu as un réel talent d’écrivain. J’adore te lire.

    1. Eric Sauve

      Un grand merci Isabelle, c’est très apprécié! On va en sortir de cette période difficile. Je ne sais pas quand, mais on va en sortir, c’est certain.

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