Le film « Heat » avec Al Pacino et Robert De Niro, sorti en 1995, contient une scène de fusillade tellement réaliste qu’elle a déjà utilisée par les Marines américains comme démonstration efficace d’une tactique appelée « feu et mouvement »; dans le feu et mouvement, une partie de l’unité fournit un tir de suppression sur l’ennemi, l’obligeant à se mettre à couvert, alors que l’autre partie avance pour obtenir une meilleure position tactique. Toujours dans Heat, il y a une scène où les protagonistes sont montrés en train de recharger leurs armes tout en gardant une conscience tactique; le changement de chargeur fluide et professionnel a été salué par bien des militaires et policiers. L’attention portée aux détails dans ces scènes renforce l’authenticité et la tension du film.
On ne montrera pas « Les Armes » a des recrues canadiennes.
Les producteurs de la série ont fait grand état du fait qu’ils ont passé des mois à se préparer, qu’ils ont conduit des entrevues avec des militaires, qu’ils ont visité des bases et, tenez-vous bien, qu’ils avaient des conseillers militaires sur le plateau de tournage. Sérieusement? Il était où le conseiller quand deux personnages se saluaient sans leur béret sur la tête? C’est une tradition américaine, pas canadienne, de saluer sans couvre-chef. Un garçon de 12 ans qui aurait fait une semaine chez les cadets aurait pu le dire au réalisateur.
Je me demande aussi si les conseillers étaient en pause café quand un supérieur a salué un subalterne, ou quand un lieutenant-colonel a dit au numéro un de la défense qu’il n’avait pas le temps de lui parler. Si les conseillers avaient entendu cette phrase, ils auraient probablement pouffé de rire et renversé leur café.
Au niveau du scénario, il y a d’autres détails qui chicotent et qui font que, à la longue, un spectateur aguerri va décrocher: un adjudant-chef qui dirige une section de douze soldats, par exemple, vous ne verrez jamais ça (ce serait plutôt le rôle d’un caporal-chef ou d’un sergent car un adjudant-chef se trouve au niveau d’une unité de plusieurs centaines de personnes). Le même adjudant-chef qui gifle une recrue? Ça ne s’est probablement pas vu depuis la fin des années 80. Un colonel qui commande la même base depuis 25 ans? Pauvre colonel, il fait du surplace car ça fait au minimum 20 ans qu’il aurait dû être muté ailleurs…
La production dira que c’est de la fiction, qu’elle ne visait pas le réalisme, mais le fait est que oui, elle visait à se rapprocher le plus possible de la réalité militaire. On voit que ça tente d’être raffiné, que ça tente d’utiliser des expressions militaires – je veux parler au JAG, je veux parler au JAG! – mais, au final, la série passe à côté de la marque, solidement, du point de vue du réalisme.
Mais tout ça, la majorité des spectateurs peuvent en faire abstraction, ce n’est pas une raison pour déchirer sa chemise (de combat). Ce qui dérange le plus les militaires et les vétérans c’est qu’on nous fait encore passer pour des gens avec des méthodes rétrogrades, des gens à l’éthique plus que douteuse, qui travaillent en clique et qui utilisent la méthode forte. Oui, il y a des personnages qui veulent que ça change: le lieutenant-colonel et la policière, qui ont un sens de l’honneur, mais on dirait qu’ils sont en minorité. Qu’ils se battent contre un système qui est foncièrement corrompu, qui cache la vérité, qui opère au-dessus des lois.
Pour faire une bonne fiction, ça prend un méchant, un vilain, ça va de soi. Mais ici on parle plutôt d’un système, allant du chef d’état-major de la défense jusqu’aux officiers et sous-officiers les moins gradés, qui opère dans l’illégalité et qui a un sens de l’honneur complètement corrompu. C’est gros. Et je ne dis pas que ça n’a jamais existé, car la commission d’enquête sur la Somalie a révélé un système similaire. Mais, heureusement, l’armée a appris de ses erreurs et conduit de nombreuses réformes qui ont mis l’accent sur la formation, l’éthique et la responsabilité.
La production a fait le choix de montrer l’armée post-Somalie dans le contexte de 2024. L’impression qu’on laisse aux spectateurs est que l’armée opère encore de cette façon.
En tant que vétéran, je comprends que je ne suis peut-être pas le public cible de cette fiction. Or, malgré les contraintes liées à tourner une série dans le contexte québécois, il aurait été possible d’intégrer un réalisme qui élève la fiction. Je trouve surtout dommage que les jeunes générations vont s’inspirer de cette caricature pour se faire une idée de ce que peut être la vie militaire.
Amen. 39 ans en uniforme de même que conseiller technique sur la première moitié de la série « Médecins de combat. » Aussi, auteur de romans historiques vérifiés par des historiens militaires. Pour que le lecteur (spectateur) accepte de faire semblant de croire à une fiction, que ce soit un roman ou une série (ou un film), l’auteur doit tout faire pour que chaque détail soit tellement crédible qu’on s’y croirait. Sinon… une fois que le ‘faire-semblant-d’y-croire’ est endommagé, votre œuvre perd toute sa valeur. Jos Public continue peut-être d’écouter la série, mais les commentaires des dizaines de milliers de vétérans parviennent aux oreilles de Jos et celui-ci s’en trouve ébranlé. Vous allez voir.
Merci Marc,
J’ai donné l’exemple de « Heat » parce que le réalisateur a passé 6 mois en patrouille avec le LAPD avant de commencer à filmer. J’aurais aussi bien pu parler de « Slap Shot », un film américain qui est devenu culte au Québec (!), justement parce qu’on se reconnaît là-dedans. La réalisatrice a installé des micros dans les chambres des joueurs pendant des mois afin de savoir ce qui se disait vraiment entre « boys ». Qu’on aime ou qu’on n’aime pas, ça sonne vrai. Le « réalisme » de ces oeuvres les élève au-dessus de la médiocrité dont on se contente trop souvent.
Très bon article Éric. Ça me donne tout de même le goût d’écouter cette série !
Haha, gâte-toi Nic, j’ai hâte d’avoir ton feedback!
Je ne peu que dire que tu as bien résumé la pensée de plusieurs d entres nous comme ancien arme de combat puis MP j ai décrocher en 5 minutes et j ai pourtant essayé mais bref une serie qui passera à l histoire pour les pires scénarios
Merci Marc, effectivement il semblerait que plusieurs militaires soient déçus du manque de réalisme complet de la série. Une occasion ratée de faire entrer les spectateurs dans le domaine militaire.