J’ai débuté cet article en juillet dans l’espoir réel de me mettre dans la tête d’un Trumpiste, de comprendre leur motivation. J’ai échoué lamentablement. Nous sommes à la mi-septembre et j’ai encore le syndrome de la page blanche. J’ai eu beau m’acheter une casquette MAGA, la porter en public, visiter des sites web conservateurs, regarder Fox News, je n’arrive toujours pas à me mettre dans la tête d’un Trumpiste. Surtout pas après le débat Trump-Harris qui vient d’avoir lieu.
C’est dommage, parce que j’ai appris comme étudiant en histoire – je n’oserais jamais écrire « historien » – et comme analyste de renseignement à toujours me mettre dans la peau de l’autre, de tenter de comprendre ses motivations, d’appliquer un filtre rationnel à des décisions qui peuvent paraître insensées, inconcevables, voire puériles.
En politique on m’a enseigné que la majorité des acteurs étrangers agissent de façon rationnelle, même si on peut penser qu’ils sont simplement fous ou déconnectés de la réalité. Deux exemples: Premièrement, l’obsession de Kim Jong Un pour l’arme atomique. Au delà ce qu’on pourrait voir comme une fascination profonde pour un petit gros sans charisme de dominer le monde, L’obsession de Kim pour les armes nucléaires a un côté rationnel très important: la bombe lui permet de dissuader les menaces extérieures et intérieures, et elle lui permet surtout « d’être quelqu’un » sur l’échiquier mondial. Avez-vous entendu parler du Malawi? Probablement pas. Pourtant le Malawi et la Corée du Nord ont sensiblement les même dimensions et les mêmes populations. L’un compte au niveau mondial, l’autre, pas du tout. C’est tout dire.
Le deuxième exemple est l’Iran des Ayatollahs. Je ne compte plus le nombre de livres, prétendument sérieux, provenant principalement de « think tanks » américains de droite, dont la thèse est simplement que les dirigeants iraniens sont des fous furieux qui veulent dominer le monde et qui ne comprennent que la menace, la ligne dure. Des êtres complètement irrationnels qui portent au fond d’eux-mêmes un feu sacré qui les pousse à vouloir anéantir l’Occident, coûte que coûte. C’est une vision réductrice et simpliste d’une réalité qui ne capture pas la complexité de leur projet religieux et politique. Comme dans le cas de Kim Jong Un, le programme nucléaire iranien vise principalement à donner aux Ayatollahs du prestige et un poids politique, il leur permet de préserver le régime et de maintenir l’influence iranienne sur la scène internationale.
Si on en revient aux Trumpistes, et plus largement aux gens qui vont voter pour Trump en novembre, on peut estimer qu’environ 60 à 70 millions voteront pour l’ex-président en novembre. Qu’est-ce qu’il recherchent chez lui, qu’est-ce qu’il voient en lui? Il doit bien y avoir des explications rationnelles. Je m’essaie.
À la base, plusieurs américains sont Républicains ou Démocrates de longue date; peu importe le candidat, leur vote va pour le parti. Ces personnes sont des supporteurs indéfectibles, souvent de génération en génération. De plus, force est de constater que certains américains ne voteront pas pour une femme à la présidence. De surcroît une noire. De surcroît multiraciale. La réalité fait aussi en sorte qu’il y a, dans toutes les démocraties, des partisans d’extrême-droite, des personnes racistes, des hommes misogynes, des citoyens xénophobes: bref, tous ceux que Hilary Clinton mettait dans un « basket of deplorables ». C’est une image puissante, certes, mais finalement assez réductrice.
Si on exclue donc les Républicains de naissance et les déplorables, il reste plusieurs millions d’individus qui feront le choix « rationnel » de voter pour Trump, avec tout ce que ça peut représenter de contradictions dans leur tête. Qui sont-ils et que recherchent-ils?
Plusieurs partisans de Trump adhèrent à ses politiques, notamment sa position sur l’immigration, ses politiques économiques protectionnistes qui le poussent à imposer des tarifs élevés sur les importations – sans analyse poussée des conséquences réelles, mais ça c’est une autre histoire – et le fait qu’il nomme des juges conservateurs sur différents tribunaux. Ces exemples de politiques le différencient grandement de ses adversaires démocrates. Dans les milieus conservateurs, protectionnistes et isolationnistes, on apprécie, beaucoup, les politiques de Trump énumérées plus haut.
En termes économiques, ses promesses de coupures d’impôt pour les plus riches résonnent auprès de plusieurs électeurs; il faut ici comprendre la mentalité américaine, qui diffère de la nôtre de façon assez significative. Aux États-Unis, même les plus démunis ont l’espoir un jour de se retrouver au top de la pyramide – le fameux mythe du self-made man. Leur logique est donc la suivante: si le gouvernement est généreux envers les pauvres et exigeant avec les riches, ces politiques se retourneront contre moi lorsque ce sera à mon tour de baigner dans l’argent. Je simplifie, mais cette façon de voir est bien réelle, et elle diffère grandement de la vision plus progressiste des Québécois et des Canadiens en général.
Au-delà des politiques et promesses économiques, d’autres facteurs viennent mousser la candidature de Trump. De un, plusieurs électeurs ont une vision très cynique de la politique et croient que les « élites » sont déconnectés de leur réalité. Trump leur dit qu’il est comme eux (!), qu’il va assainir le marais, qu’il va congédier les incompétents, qu’il va s’en prendre à ceux qui profitent du système. Il détonne dans un milieu où la langue de bois prévaut. Il représente le changement, aussi radical soit-il. De deux, les médias ont eu un rôle important à jouer dans sa première élection, et encore aujourd’hui. Trump vend, c’est aussi simple que ça. Ceci lui donne un positionnement médiatique sans aucune équivalence dans l’histoire politique moderne. Trump récolte des millions de dollars pour sa campagne médiatique, mais il profite en réalité d’une véritable manne en matière de publicité, aussi bien chez les médias qui le supportent – les Fox News de ce monde – que ceux qui le détestent profondément: CNN, the New York Times, et j’en passe.
Certaines politiques de Trump ainsi que son ascendant sur les médias et sur la société en général font donc en sorte qu’il réussit à aller chercher des millions de votes.
Un autre aspect à prendre en compte est qu’il y aura un pourcentage d’électeurs qui voteront pour Trump parce qu’ils associent Harris à la duplicité des Démocrates qui, jusqu’au débat désastreux du 27 juin, insistaient sur le fait que le président Biden était apte à diriger le pays le plus puissant du monde. Ce mensonge, perpétré par les Démocrates ainsi qu’une grande partie des médias de gauche, a été exposé au grand jour lors du fameux débat. Si les Démocrates mentent sur quelque chose d’aussi évident et important que l’aptitude de Biden à exercer ses fonctions, sur quoi d’autre mentent-ils ? En guise de suivi, certains électeurs ne croiront pas un mot du « nouveau » centrisme politique de Harris, tel que démontré lors de son débat face à Trump, et pensent que, si elle est élue, elle reviendra à son ancienne manière de faire et gouvernera en tant que progressiste engagée.
Au-delà de toutes ces considérations, le problème avec Trump c’est qu’il MENT COMME IL RESPIRE. Comment peut-on lui faire confiance? Comment ne pas voir qu’il peut nous mentir à nous aussi? Comment ne pas voir que Trump est là pour Trump, et non pour le peuple américain? Qu’il méprise la démocratie, les institutions, les « checks and balances », qui étaient si chers aux pères fondateurs? Il demande à tous une loyauté personnelle et il admire les dictateurs. Trump est, d’une certaine manière, un danger réel pour la démocratie. Comment peut-on manquer cette évidence sous nos yeux? Cela me dépasse, profondément.
Peut-on se rendre dans un bureau de vote et voter pour un candidat en se bouchant le nez? Personnellement, je ne peux pas, et heureusement, en tant que Canadien, je n’aurai pas à le faire. Au-delà de tous les arguments qui pourraient un jour me conduire à voter pour un candidat comme Trump, pour moi, Trump est une aberration. C’est un menteur pathologique, un être fourbe, une personne misogyne, raciste, un personnage clivant et un être narcissique qui méprise la démocratie. Le caractère d’une personne compte. Peu importe d’autres facteurs comme le succès, la richesse ou l’apparence, le caractère d’une personne est la base sur laquelle elle devrait être jugée. Aucun argument sur ses politiques ne me fera changer d’avis sur ceci. En 2016, je pouvais comprendre qu’on soit tenté par le changement. Plus maintenant. Le fossé est trop grand entre ma vision de la politique et celle de ceux qui votent pour Trump. Certains de mes amis américains voteront pour Trump, et c’est leur droit. Bien que je ne comprenne pas pourquoi, des gens bien voteront pour Trump.
J’espère, sincèrement, qu’en novembre une majorité d’Américains choisiront une candidate qui, malgré ses faiblesses, cherche à rassembler plutôt qu’à diviser.