« La cigale, ayant chanté tout l’été, se trouva fort dépourvue quand la bise fut venue: pas un seul petit morceau de mouche ou de vermisseau. Elle alla crier famine chez la fourmi sa voisine, la priant de lui prêter quelque grain pour subsister jusqu’à la saison nouvelle. » – Jean de la Fontaine.
J’ai toujours détesté la crisse de cigale qui ne pense qu’à chanter et à s’amuser alors que la fourmi sa voisine est travaillante, prévoyante, et elle ne badine pas quand vient le temps de se préparer pour l’hiver.
Je me suis longuement identifié comme une fourmi. J’ai eu mon premier emploi au primaire (camelot), puis dès le secondaire j’ai eu des emplois d’été, mais j’ai aussi travaillé l’automne (cueillette de pommes) et même l’hiver, où je vendais des sapins à 3$ de l’heure, au froid, au vent, sans endroit pour me réchauffer (peut-être un peu d’abus de l’employeur ici?). Après le secondaire je suis entré au collège militaire, entre autres parce que je savais que je serais payé pour poursuivre mes études et que j’aurais un emploi garanti pour les années à venir.
Cet acharnement à travailler et à accumuler des sous vient probablement de ma mère, qui venait d’une famille pauvre de 14 enfants dans une région éloignée. Ma mère a toujours craint de manquer d’argent et, même quand elle en a eu plus, vers la fin de sa vie, elle ne savait pas comment la dépenser. C’était une fourmi dans l’âme et elle méprisait – profondément – les cigales, qui ne pensent qu’à avoir du plaisir, quitte à venir quêter un peu de pitance à leurs voisines quand les temps sont durs.
Cet été qui vient de prendre fin, j’ai fait le choix d’être cigale. Je travaille à contrat depuis près de 10 ans et j’ai perdu mon contrat au début de l’été, puis je n’ai rien fait, ou si peu, pour me chercher un autre revenu. J’ai fait le choix conscient de profiter des douceurs de l’été et j’ai adoré.
Je n’ai rien fait de productif. J’ai blogué, j’ai surfé sur internet, j’ai fait des posts sur Facebook à propos de tout et de rien, j’ai lu. Je ne me suis pas entraîné plus qu’il faut. Je suis allé faire mes emplettes au Costco dans les périodes où il y a seulement des têtes blanches. Une caissière a même eu le culot de me demander si j’avais ma carte de l’âge d’or pour profiter des rabais! J’ai fait quelques petites escapades, du canot avec mon frère, et en famille, nous avons voyagé à Hawaï, ce coin de paradis sur terre. En gros je me suis amusé, c’était la priorité.
C’est beau l’été. C’est peut-être une évidence pour plusieurs, mais pour moi l’été n’a pas toujours représenté une saison agréable. De un, je déteste transpirer. De deux, je supporte mal la chaleur en général et j’ai de la difficulté à dormir quand il fait trop chaud. À l’opposé, quand il fait froid, on peut toujours en rajouter une couche, soit un vêtement ou une couverture; mais quand il fait trop chaud on ne tout de même pas aller jusqu’à s’écorcher vif pour se rafraîchir! La chaleur, il faut l’endurer.
J’ai commencé à apprécier l’été pour la première fois lors de notre tour du monde en 2014-2015. On a choisi de quitter le Québec en août et, comme il n’était pas question qu’on traîne des vêtements d’hiver, on a choisi de suivre le soleil; d’abord en Amérique du Sud, puis en Océanie, puis en Asie du Sud-Est. On était au Cambodge en avril, le mois le plus chaud de l’année. Les visites à Ankgor Wat débutaient à 5 heures du matin parce que la chaleur est intolérable à partir de 9 heures. C’est au Cambodge, principalement, que j’ai appris à tolérer le fait de mariner dans ma propre sueur du matin au soir.
Mais l’été, c’est plus que la chaleur parfois insupportable; ce sont les festivals, les barbecues, les bières sur la terrasse. Les jupes courtes aussi, si je suis honnête avec moi-même.
Les Italiens, les Espagnols, les Grecs, ceux du sud principalement, me fascinent pas leur capacité de ne rien faire, au soleil. La langue française a même un mot pour ça, la farniente. Il provient de l’expression italienne « far niente »: « far » est une contraction de « fare », qui signifie faire, et « niente » signifie rien.
Ne rien faire, au soleil, ça me rappelle « Emmenez-moi » de Charles Aznavour, dans laquelle il chante:
« Emmenez-moi au bout de la terre, emmenez-moi au pays des merveilles. Il me semble que la misère serait moins pénible au soleil. »
Ce passage exprime ce rêve, commun aux peuples nordiques, de fuir notre « misère » quotidienne pour une vie plus agréable sous le soleil, où l’idée de « ne rien faire » se mêle à celle de la détente et du bonheur simple, en contraste avec les difficultés qu’on connaît. C’est une belle façon de parler de l’envie d’évasion et de trouver du répit dans un coin paradisiaque.
Toute bonne chose ayant une fin, je me retrouve aujourd’hui, début septembre, comme la cigale qui n’a rien emmagasiné en prévision des longs mois d’hiver. Je commence à ressentir l’urgence de reprendre une vie plus productive. Cela tombe bien, on vient de m’offrir, sur un plateau d’argent, un contrat qui débute incessamment. Et la fourmi en moi a dit oui.
Je suis en fait heureux de reprendre le travail. La période des vacances est officiellement terminée, les enfants sont de retour à l’école, il y a moins de cigales autour de moi pour faire la fête. Alors je reprends le chemin du travail, sans regret, la tête remplie de beaux souvenirs d’été. Mais rien ne dit que la cigale ne reprendra pas le dessus quand les journées vont recommencer à s’allonger en 2025…
Vive l’été et bonne reprise
Merci Hugues, vive l’été, effectivement! Officiellement ma saison préférée depuis quelques années…