Mon long tunnel de l’anxiété et de la dépression (partie 3 – suite et fin)

J’ai partagé mes récents problèmes de santé mentale dans mon long tunnel noir de l’anxiété et de la dépression, partie 1 et partie 2. Dans ce dernier texte, j’aimerais aborder le sujet des débuts des attaques de panique, de ma recherche des causes de traumas et du sentiment général que tout mon avenir s’écroulait quand j’étais dans le tunnel. Finalement, je pose la question cruciale: « Suis-je guéri? ».

Les débuts

Ma première crise de panique a eu lieu en 1998, lors d’une parade au 2e bataillon du Royal 22e Régiment. Je recevais cette journée-là un nouvel adjoint de peloton, un adjudant qui avait abusé de son autorité (sans détails) lors d’une phase d’entraînement comme officier d’infanterie. Ça ne me tentait pas du tout de le revoir, encore moins de l’avoir comme adjoint.

Ce matin-là je me suis installé sur la parade, mon peloton dans mon dos, comme à l’habitude. Après quelques minutes, j’ai imaginé le regard de l’adjudant qui pesait sur moi; c’était comme si ses yeux étaient deux lasers qui venaient brûler le cuir chevelu derrière ma tête. Soudainement, je me suis mis à trembler comme une feuille, mon coeur battait la chamade, je transpirais et je n’avais qu’une envie, disparaître, mais je suis resté sur place (il faut savoir que je suis très orgueilleux…). Après la parade, j’étais complètement exténué, fini, je me suis assis par terre dans les marches qui montaient à mon bureau et je ne savais pas comment j’allais passer au travers de la journée. J’avais 22 (!) ans, aucun antécédent de santé mentale; je ne comprenais pas pleinement ce qui venait de se passer. Par la suite, il m’arrivait de trembler – pas aussi énergiquement – lorsque j’étais dos aux troupes, seulement de dos, pas de face, de la même façon que sur la parade initiale. C’est comme si mon cerveau avait interprété le fait d’être dos aux troupes comme une menace. Ça a fini par s’estomper avec les années.

La mère de toutes les attaques de panique!

Fast forward en 2010, je suis au cinéma à Québec avec mon neveu de 10 ans, il reste quelques minutes à Avatar quand, tout à coup, je réalise que je ne sens presque plus mes mains et que mon bras gauche est engourdi. Comme le médecin vient récemment de me dire que je fais du cholestérol et un peu de haute pression, je crois que je fais une crise de coeur. Je sors de la salle de cinéma, complètement épouvanté, je me lance vers les salles de bain, j’hyper-ventile, puis je me dis que je ferais mieux d’alerter quelqu’un plutôt que de mourir seul dans les toilettes! J’arrive devant une caissière, je m’affale sur son comptoir et, pantelant, je lui demande d’appeler une ambulance parce que je fais une crise cardiaque. Elle a un petit rire nerveux – je crois qu’elle n’a pas suivi de cours de secourisme… – alors je dois rajouter: « C’est sérieux« . On appelle finalement les secours, on m’amène derrière le comptoir et on m’assoit sur une caisse. Le neveu me retrouve finalement (pauvre petit!) et les ambulanciers arrivent, font leur test, puis m’annoncent, un peu mal à l’aise, que mon coeur ne donne aucune indication qu’il va flancher. Ils m’offrent deux choix: sortir du cinéma à pied vers ma voiture, ou en civière vers l’ambulance. J’opte pour la civière, je ne vais quand pas montrer à la jeune caissière que je n’avais rien de grave!

En route vers l’hôpital, l’ambulancier annonce à la radio qu’il a un patient affligé d’un code que je ne comprends pas. Pourquoi est-ce qu’il n’a pas dit simplement que je croyais avoir fait une crise de coeur, ou, mieux encore, qu’il suspecte une possible crise de panique? Je commence seulement à me douter que le problème n’est pas dans mon coeur mais dans ma tête. À l’hôpital on refait les mêmes tests non concluants mais personne ne m’explique ce qu’ils suspectent, pour me ménager peut-être.

Suite à cet incident je fais des recherches sur Internet et je comprends finalement que c’est l’amygdale dans mon cerveau émotionnel qui a déclenché une réaction de « fuir ou combattre » (fight or flight) afin de me préparer à affronter un grave danger, perçu et non réel. Je ris un peu de l’incident avec ma famille et tente d’oublier tout ça. Je ne me souviens pas d’avoir eu d’autres attaques de panique avant celle de l’été 2022 et les attaques récentes qui ont fait basculer ma vie dans le tunnel, histoire que je raconte ici.

L’attitude face aux problèmes de santé mentale

Durant toutes mes années dans l’infanterie, je n’ai même pas songé à consulter pour mes attaques de panique, qui étaient heureusement circonscrites aux parades seulement. Autre que le stress relié à ces parades, je ne souffrais pas réellement d’anxiété. Aussi, et surtout, il n’y avait pas encore d’ouverture de la part des supérieurs, collègues et subordonnés par rapport aux problèmes de santé mentale. Si vous ne savez pas – ou si vous ne vous souvenez pas – ce qu’était l’attitude face à ces problèmes au tournant du millénaire, je vous renvoie au rapport: Déraillement : Un char ridiculise les personnes atteintes de traumatismes liés au stress opérationnel qui date de 2002. Je ne crois pas devoir en rajouter…

L’attitude générale était que les problèmes de santé mentale découlaient d’une faiblesse de caractère, que l’on n’avait pas de « dureté du mental », comme le dit Bob dans le film Les Boys. J’ai appris rapidement que dans les armes de combat il valait mieux garder mes émotions par en-dedans. Une collègue adjudant m’a récemment raconté qu’elle avait reçu le conseil suivant de son superviseur immédiat en début de carrière: « Il faut que tu apprennes à séparer tes problèmes personnels de tes problèmes professionnels ». Comme si on pouvait entrer sur les lieux de travail et soudainement oublier tout ce qui se passe à l’extérieur. En gros, c’était gère tes problèmes tout seul, on ne veut pas en entendre parler ici. Il va sans dire que les mentalités ont beaucoup évolué depuis cette époque.

La recherche d’un traumatisme

Comme je n’ai pas consulté à l’époque, il est difficile pour moi aujourd’hui de comprendre les possibles causes de mes attaques de panique. Quand j’ai rencontré une psychiatre pour la première fois, en 2023, donc 25 ans après la première attaque, elle m’a fait sentir qu’il devait y avoir un ou des traumatismes originaux. Pourtant, j’avais beau chercher, je ne trouvais aucun « gros » traumatisme (terme qui désigne les conséquences émotionnelles pénibles que peut entraîner le fait de vivre un événement éprouvant) dans mon passé; j’ai eu une enfance heureuse, j’avais des parents aimants, j’étais un adolescent sportif, entouré d’amis, et je n’ai pas vécu de « trauma » lors de mes 5 ans au collège militaire.

Je cherchais un gros traumatisme – avoir été abusé, avoir vu ou vécu des atrocités, etc. – que je ne trouvais pas. Le fait de ne pas trouver de gros traumatisme me faisait sentir encore plus faible! Comment est-ce que je pouvais souffrir d’anxiété sans gros trauma, alors que les personnes souffrant du trouble de stress post-traumatique (TSPT) avaient une raison « valable » – dans ma tête – de souffrir! Je n’ai pas vu personne se faire exploser, je n’ai pas vu un enfant se faire tuer, et pourtant j’affiche bien certains symptômes de TSPT!

Récemment, très récemment, et ça m’a beaucoup aidé, j’ai compris que ça ne donne rien de chercher un gros trauma, je n’en trouverai pas. Par contre, j’ai trouvé ce que j’appelle une série de « mini-traumas » reliés – surtout – à mes phases d’entraînement comme officier d’infanterie. Je reviendrai sur ces mini-traumas plus loin, mais auparavant je dois expliquer mon hypothèse par rapport à ces petits traumas.

Un gros trauma, c’est comme un gros trou dans un canot. On peut le voir, on peut colmater la brèche. Une personne qui a vécu un grand traumatisme saura d’où vient son anxiété et pourra s’attaquer à la cause, avec des techniques comme le Eye Movement Desensitization and Reprocessing (EMDR) par exemple. Par contre, avoir des mini-traumas équivaut à avoir plein de petits trous dans son canot. On ne s’en rend pas compte tout de suite. Quand on s’en rend compte, on a de l’eau jusqu’aux genoux et on peine à trouver la cause Et pourtant, le canot se remplit d’eau de la même façon que s’il y avait un gros trou. Les dommages sont les mêmes au final.

Mes possibles mini-traumas

Je vous ai raconté que la première crise était reliée au fait de devoir travailler de très près avec un ancien instructeur qui utilisait la manière forte avec les jeunes candidats à la base militaire de Gagetown. L’adjudant ne m’a pas battu, ni les autres instructeurs d’ailleurs, mais disons que sur les phases 2, 3, et 4, donc trois étés complets à l’école d’infanterie, on nous en a fait voir de toutes les couleurs. J’ai trouvé l’expérience sur la phase 2 particulièrement pénible parce que la pression constante des instructeurs a créé, à la longue, un climat malsain, un climat toxique auprès du peloton de candidats. C’est bien simple, on se détestait profondément. Un des candidats a même été victime d’un « code rouge », une pratique inspirée du film A Few Good Men sorti en 1992.

J’ai tellement détesté la phase 2 que je voulais à tout prix éviter de retourner à Gagetown sur les autres phases, c’est tout dire. En recevant cet adjudant particulièrement difficile, il est possible que mes souvenirs douloureux de phase soient revenus soudainement, ce qui a mené à ma première attaque de panique, et les autres qui ont suivi.

L’avenir qui s’écroule

J’aimerais ajouter ici un aspect qui vous fera comprendre pourquoi les choses sont si difficiles dans le tunnel. Quand tu as de la difficulté à te rendre au dépanneur acheter une pinte de lait, ce sont toutes tes ambitions, tous tes rêves qui s’écroulent. J’avais espoir de retourner en Belgique enseigner aux Forces Spéciales de l’OTAN, je voulais prendre de gros contrats dans d’autres ministères, j’avais des ambitions de carrière, mais j’avais de la difficulté à faire des choses simples comme aller au restaurant avec des amis. Il y avait un écart énorme entre mes attentes et ma réalité, ce que le psychothérapeute Russ Harris appelle The Reality Slap, ou aussi the reality gap. Harris explique que l’on souffre gravement quand il y a un écart entre la réalité que l’on désire et la réalité qu’on a. Il écrit:

J’appelle cela « l’écart de réalité » parce que d’un côté se trouve la réalité que nous avons,
et de l’autre, la réalité que nous voulons. Et plus l’écart est grand entre ces deux réalités, plus les sentiments douloureux surgissent : l’envie, la jalousie, la peur, la déception, le choc, le chagrin, la tristesse, la colère, l’anxiété, l’indignation, la peur, la culpabilité, le ressentiment ; peut-être même la haine, le désespoir ou le dégoût.

J’ai reçu cette « claque dans la face de réalité » et ça m’a complètement bouleversé. Dans mon tunnel, je m’efforçais de vivre au jour le jour car penser à l’avenir me déprimait profondément.

***

Pour finir, vous vous demandez peut-être si je suis guéri? Je suis sorti de la dépression, le ciel est bleu, ensoleillé, c’est le printemps dehors, dans mon coeur et dans ma tête. Par contre, je ne sais pas si on guérit complètement de l’anxiété. Je vis avec mon anxiété, je lui ai donné un nom (Georges), c’est une technique thérapeutique pour aider à accepter l’anxiété. Georges est parti depuis quelques semaines, mais je ne me fais pas d’illusion, il va revenir. Une rechute est presque inévitable selon les études. Quand Georges reviendra, je le laisserai entrer, je lui servirai un thé et je lui laisserai savoir que je ne m’occuperai pas plus de lui parce que je suis ENGAGÉ dans d’autres activités beaucoup plus enrichissantes.

Ma belle-mère, qui a souffert d’anxiété pendant 40 ans, m’a souvent dit qu’une crise c’était une occasion de changement. Je viens de vérifier l’origine du mot « crise » sur le Net et la vérité est encore mieux: le terme « crisis » vient du grec « krisis » qui signifie un point tournant dans une maladie. A partir de ce point, les choses peuvent s’empirer ou s’améliorer. Pendant les 20 derniers mois, j’ai cherché désespérément le Eric d’avant, celui qui était confiant, rieur, enjoué, aventureux. À la sortie du tunnel, je trouve un autre Eric. Il a retrouvé ses anciennes qualités et ses anciens défauts, mais il est aussi plus patient, plus empathique, moins transactionnel; en gros, plus à l’écoute des autres. Je ne pensais pas trouver ça. Et je dois m’avouer que je préfère la nouvelle version.

Durant la dernière année, je n’ai jamais autant dit à mes enfants que je les aimais; c’est en partie parce que j’ai eu peur de les perdre, en quittant ce monde. La semaine dernière, en allant porter la petite à l’école en vélo, j’ai remercié les brigadiers scolaires avec sincérité d’être là tous les matins — ok, ils avaient l’air plus surpris qu’heureux, mais j’imagine qu’ils ont souri après!

Au cours des derniers mois, j’ai commencé à accepter les perches que mes proches m’ont tendues. Un ami m’a offert une rencontre hebdomadaire de 30 minutes où je peux, si je le veux, parler de mes problèmes. Ne me cherchez pas les vendredis matin 9h, je suis dans ce qu’on appelle notre « jasette » hebdomadaire.

Depuis que je me suis ouvert sur mes problèmes de santé mentale, j’ai reçu des centaines de témoignages de la part de collègues et amis m’ont confié qu’ils vivaient sensiblement les mêmes choses que moi. Selon mon estimé personnel, pas loin de 50% des militaires (actifs et retraités) ont souffert ou souffrent de problèmes de santé mentale, à divers degrés. J’écris ces articles pour eux. Je les écrit aussi pour ceux qui prennent soin d’eux. Et je les écrit pour ceux qui croient encore qu’il ne suffit que de se botter le derrière pour sortir de sa torpeur.

Certains collègues et amis m’ont approché pour me demander mon aide. Je suis loin d’être un thérapeute, mais je leur ai prescrit une « jasette » hebdomadaire de 30 minutes avec moi et je viens de tenir mes premières rencontres en vidéoconférence. Mon but de donner au suivant est atteint.

5 réflexions au sujet de “Mon long tunnel de l’anxiété et de la dépression (partie 3 – suite et fin)”

  1. Bravo encore, Éric!

    Ta démarche fait et fera du bien à beaucoup de monde, mais surtout à toi!
    Tu te reconnectes avec l’être qui t’habite et tu apprécies ton présent. Ce n’est que dans le présent qu’on vit. Le passé et le futur n’ont rien à apporter à ton présent. Continue de te centrer sur ce que la vie a pour toi dans le moment présent!
    Bonne continuité!

    Guyane

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  2. Merci beaucoup de me suivre et de commenter Guyane, j’ADORE quand les gens prennent la peine d’écrire un commentaire sur le blogue, c’est ma récompense comme écrivain.

    Pleine conscience, se concentrer sur le moment présent, ce sont des notions que j’ai apprises tout récemment, en thérapie. Il n’y a pas que du mauvais qui sort de cette crise. Il faut savoir tourner une crise en opportunités. Je suis dorénavant un défenseur (advocate) de la santé mentale chez les militaires, aussi bien ceux qui servent que les vétérans.

    Prochain article: Le leadership toxique dans les Forces Armées Canadiennes.

    Eric

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  3. Merci beaucoup pour ton commentaire Jinny, j’adore quand les gens prennent la peine d’écrire un commentaire sur le blogue. Les choses vont beaucoup mieux depuis environ 6 semaines environ, je mords dans la vie à pleines dents. Abonne-toi à mon blogue pour les prochains articles, dont un sur le leadership toxique dans les Forces qui sera publié très bientôt. Éric

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  4. Bravo mon chum!

    Il me manquait la lecture de cette 3e partie. Wow quel témoignage authentique. Je crois que tu aideras beaucoup de monde à comprendre leur propre histoire et problèmes. On est tous marqués par notre passé et nos différentes expériences positives et négatives. Pour ma part, tu m’as ouvert les yeux sur mes propres comportements et réactions.

    J’ai très hâte de te revoir Eric et j’espère que ce sera très bientôt.

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