Poutine et la terre brûlée

La politique de la terre brûlée est une pratique vieille comme le monde. A la fin de la troisième guerre punique, les Romains, voulant faire payer un lourd tribut à leur ennemi juré, ont envahi la ville de Carthage, tué la majorité de ses habitants et vendu le reste en esclavage.

Selon la légende, les troupes de Scipion l’Africain auraient été jusqu’à raser la ville et à y étendre du sel afin que plus rien n’y pousse pour les prochains siècles. Ce qui nous a donné l’expression « paix carthaginoise » qui désigne l’imposition d’une « paix » très brutale consistant à écraser l’ennemi.

Au fur et à mesure que les forces russes se replient, on constate que c’est cette même politique de terre brûlée qu’ils pratiquent.

Les images et les témoignages récoltés jusqu’à maintenant dans des villes comme Boutcha et Marioupol ne laissent planer aucun doute sur les intentions du Kremlin: il veulent faire payer les Ukrainiens pour la résistance qu’ils offrent à la Russie.

Cette photo qui a fait le tour du monde est devenu l’un des symboles des atrocités russes à Boutcha

L’ampleur du phénomène démontre qu’on ne parle pas de simples incidents isolés ou de crimes de guerre commis par des militaires corrompus. Il s’agit bien d’une stratégie qui vise à donner un goût amer à la victoire. Une façon de dire: vous avez réussi à nous faire replier, mais regardez ce qu’on laisse sur notre sillage. La mort et la désolation.

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Encore une fois, l’Occident ne devrait pas être surpris de tout ça. Demandez aux habitants d’Alep, en Syrie, ou à ceux de Grozny, en Tchétchénie: la brutalité des militaire russes n’est plus à démontrer. Meurtres de civils, tortures, viols et décapitations sont bien documentés dans ces deux conflits. Certains diront – non sans raison – que les Tchétchènes ne faisaient pas dans la dentelle, mais les lois de la guerre n’autorisent pas un belligérant à se venger si l’autre ne respecte pas les règles. La loi du Talion, qui prône la réciprocité du crime et de la peine, c’était bon pour l’Antiquité, pas pour le XXIe siècle.

Les Ukrainiens payent donc le prix de leur affront à Poutine. Clairement, les Russes ne s’attendaient pas à cette résistance, la preuve étant que leur première offensive n’était pas supportée par un appui logistique soutenu ni même un plan B advenant le cas que Kiev résiste. Tout porte à croire que Poutine croyait vraiment qu’il allait rapidement faire tomber le régime de Zelensky en quelques jours, installer un gouvernement fantoche, puis retirer ses troupes sans essuyer trop de pertes.

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Dans l’Armée, quand on « teste » un plan d’opérations dans un jeu de guerre (wargame), on a coutume de rappeler aux participants que l’ennemi à un droit de vote, c’est-à-dire que l’ennemi ne vas pas se laisser faire. Cela se traduit concrètement par l’officier de renseignement jouant le rôle de l’ennemi, bougeant les troupes ennemies selon leur doctrine et réagissant au meilleur de ses connaissances à chacune des actions des forces « amies ».

Jeu de guerre au Centre de guerre interarmée du Canada

C’est à se demander si les Russes ont pratiqué des wargames ou même anticipé une quelconque forme de résistance avant d’envahir l’Ukraine. Clairement, le renseignement russe a échoué à prédire la réaction de Kiev. Ce qui fait qu’aujourd’hui le conflit s’enlise et que les civils sont de plus en plus pris pour cibles.

Bien malin celui ou celle qui peut prédire quand et comment prendra fin la guerre en Ukraine. Poutine n’a aucun scrupule à perdre des milliers de troupes, mais il ne voudra jamais perdre la face. Les portions du pays qu’il ne pourra pas arracher à l’Ukraine, il va s’assurer de les laisser dans un état de désolation totale.

Comme Scipion à Carthage.

Scipion l’Africain et le sac de Carthage (aujourd’hui en Tunisie)

2 réflexions au sujet de “Poutine et la terre brûlée”

  1. Bonsoir Marie-France, je te comprends tout à fait, mais c’est difficile pour l’Occident d’intervenir sans risquer que le conflit ne s’étende à d’autres régions… Même sans le nucléaire, il y a risque de débordement dans des pays membres de l’OTAN (Pologne, pays baltes); et si ça arrivait, on ne ferait qu’étendre la souffrance. Le vrai coupable, c’est Poutine. Nos moyens sont malheureusement limités pour aider l’Ukraine.

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  2. Très bon article Éric.

    Pourquoi est-ce nécessaire en temps de guerre de laisser autant de souffrance, de pertes humaines et de tout détruire?

    Les Ukrainiens résistent aux russes et ces derniers n’acceptent pas leur résistance, mais ils ne méritent pas ce qu’ils leurs arrivent.

    Quel est ton point de vue en lien avec l’implication des pays de l’Otan pour armer l’Ukraine. Quels risques aulquels ont s’exposent ?

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