Dans le conflit latent entre la Russie et l’OTAN, les deux partis cherchent à découvrir ce qui constitue la fameuse ligne rouge, celle qu’on ne peut franchir sans risquer de graves conséquences. Qu’est-ce qui constitue un coup de trop pour l’OTAN? Pour la Russie? Quel est LE geste qui pourrait faire déborder le vase? Et surtout, comment faire pour s’approcher le plus possible de cette insaisissable ligne rouge sans risquer de la franchir?
Établir une ligne claire sert à éviter les risques de débordement. Mais il ne suffit pas établir une ligne clairement visible dans le sable pour être efficace. Encore faut-il être déterminé à prendre les mesures nécessaires quand l’adversaire va trop loin. Le concept de dissuasion passe par une menace crédible et un engagement ferme à riposter quand l’adversaire dépasse les bornes.
C’est pourquoi les chefs d’états occidentaux rechignent typiquement à l’idée d’établir des lignes rouges car, lorsqu’elles sont établies, il est essentiel de les faire respecter, au risque de perdre de la crédibilité. L’exemple le plus probant d’un échec dans l’établissement de limites précises nous vient d’Obama en 2012. Le président américain avait clairement dit que l’utilisation d’armes chimiques par Bachar Al-Assad en Syrie constituerait une ligne rouge, et pourtant les Américains ne sont pas intervenus fermement quand la preuve a été faite – hors de tout doute – que l’armée syrienne utilisait des armes chimiques sur son propre peuple. Pour Al-Assad, le message était clair: il pouvait continuer à agir en toute impunité. Les tyrans de ce monde ont aussi compris que la ligne pouvait être repoussée.
Dans le présent conflit, Biden a prévenu Poutine qu’il payerait un « prix sévère » s’il utilisait des armes chimique. On peut assumer que cet avertissement s’applique aussi bien, sinon encore plus, aux arms biologiques, radiologiques ou nucléaires.
Malheureusement, il apparaît claire que le massacre délibéré de civils à l’aide d’armes conventionnelles – et même thermobariques – ne constitue pas un casus belli quand l’adversaire possède l’arme atomique. C’est une autre leçon que tirent les tyrans de ce monde: l’arme atomique constitue en soi un formidable pouvoir de dissuasion. C’est la plus grosse monnaie d’échange, comme le savent très bien le régime des Kim en Corée du Nord et l’Iran des Ayatollahs.
Est-ce que des attaques – directes ou indirectes – contre des membres de l’OTAN constitue une ligne rouge? Tout dépend de la volonté des 30 nations. Poutine va tout faire pour tester les limites et la fermeté de l’Alliance dans les prochaines semaines. Surtout s’il réussit à obtenir un appui encore plus solide de la Chine.
Du côté de la Russie, la ligne rouge tracée par Poutine ne semble pas plus claire. Il disait récemment que les sanctions économiques pourraient constituer un acte de guerre. En ce qui concerne le transfert d’armes à l’Ukraine, les Russes vont éventuellement tenter de couper les accès à la frontière polonaise. Cette région risque de devenir un baril de poudre dans les prochaines semaines. La Russie joue un jeu dangereux qui risque d’aboutir par l’entrée en guerre de d’autres pays, ce qui ne fera qu’accentuer la souffrance humaine.
Nous assistons présentement à un retour de la Guerre Froide. Peu importe l’issue du conflit en Ukraine, la Russie est devenue un état paria, dirigé par un criminel de guerre, avec lequel l’Occident va devoir composer. Il est temps de réouvrir les livres d’histoire et de revoir les concepts de guerre froide, de rideau de fer et de dissuasion nucléaire. Nos dirigeants vont avoir besoin des leçons durement apprises dans la deuxième moitié du XXe siècle.