En juillet 2000, Corinne et moi nous trouvions à Lima, au Pérou, lors de la cérémonie d’investiture du président Fujimori. Un périmètre de sécurité avait été érigé tout autour de la zone du palais présidentiel et du congrès. Près de 40,000 policiers anti-émeutes étaient déployés pour repousser les manifestants qui protestaient contre une élection clairement frauduleuse.
Voyant tout cela de notre chambre d’hotel, on a décidé d’aller se joindre aux milliers d’émeutiers…
Ca brassait pas mal. Comme les milliers de manifestants ne pouvaient s’approcher de la cérémonie, ils ont pris d’assaut la cour suprême. Les plus audacieux entraient par les grandes fenêtres, mettaient le feu au rideau. Les policiers se sont mis à lancer des grenades lacrymogènes. Une d’elles est tombé si près de nous que j’ai dû la botter à quelques pieds. Les manifestants étaient cools avec nous, ils nous ont même prêté des masques artisanaux fabriqués à partir de bouteilles de 2 litres de Coke. C’était assez wild merci.
On avait prévu quitté avant la tombée de la nuit car c’est toujours là qu’il y a le plus de grabuge. En milieu d’après-midi, un manifestant visiblement saoul s’est mis à me traiter de « gringo » au beau milieu de la foule, il me hurlait des bêtises que je saisissais mal. Tout le monde nous regardait. Faut dire qu’à six pieds deux pouces je passe difficilement inaperçu au milieu d’un groupe de Péruviens… Avant que les choses ne tournent mal pour nous, sommes retournés à l’hotel suivre le reste des événements à la télé.
Le lendemain, j’ai lu dans les journaux qu’il y avait eu 6 morts dans la manif. En fait, des vandales avaient profité des émeutes pour tenter de faire sauter le coffre-fort de la Banque de la Nation…
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Fast Forward vingt plus tard. Un président défait refuse de concéder. Il appelle ses supporteurs dans la capitale, les exhorte à ne pas abandonner la lutte. Ceux-ci marchent sur le siège du gouvernement, des coups de feu sont tirés, un mort, plusieurs blessés. Les représentants du pouvoir sont évacués. L’armée est appelée en renfort.
Il y a comme une impression de déjà vu. Sauf qu’on n’est plus à Lima, ni ailleurs en Amérique Latine, ou dans une quelconque dictature africaine, mais à Washington DC.
C’est complètement surréaliste. Et pourtant, doit-on vraiment s’en surprendre? Quand on croyait que Trump avait touché le fond, il a toujours réussi à abaisser le plancher de nouveau.
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Il reste deux semaines avant l’investiture de Biden. Compte tenu des événement d’aujourd’hui, à quoi doit-on s’attendre? Probablement à un scénario comme celui de Lima en 2000. C’est malheureusement là qu’on est rendus. Malgré la Covid, il y aura des « crinqués » dans les camps pro-Trump et pro-Biden, une forte présence policière (espérons-le, cette fois) et un haut potentiel de violence.
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Le fondement de la démocratie, au delà de la sacro-sainte voix du peuple, repose sur ce qu’on appelle « la passation pacifique des pouvoirs ». Le peuple s’exprime et les dirigeants se succèdent, sans violence. On prend normalement ceci pour acquis dans nos démocraties occidentales, mais ça en a pris du temps pour en arriver là!
C’est un jour sombre pour l’Amérique. Les prochaines deux semaines seront critiques. Espérons que nous assistons aux derniers soubresauts de l’ère Trump.
So much for Making America Great Again…