Peut-on être en faveur d’un mouvement de dénonciation d’abus sexuels tout en étant contre les (inévitables) dérapages? C’est dans cette position pour le moins difficile que je me place ici.
La nouvelle vague de dénonciation que certains qualifient de #MeToo 2.0 s’apparente plus à la vague #BalanceTonPorc qui a déferlé en France en 2017. « Balance ton porc », le nom le dit, c’est une invitation à nommer les individus dont on estime coupable d’un comportement sexuel inacceptable. Ça peut aller de la simple remarque déplacée à l’inconduite sexuelle, à l’agression et au viol.
#MeToo faisait appel à la solidarité féminine en disant « moi aussi, j’ai été victime d’un acte répréhensible de la part d’un homme »; #BalanceTonPorc tient plus de l’exutoire collectif car il appelle à un besoin de justice populaire, de vengeance aussi, dans certains cas. Les réseaux sociaux font ici office de tribunal populaire.
Une part de moi veut encourager les femmes à dénoncer, mais une autre part me dit que les réseaux sociaux ne sont pas le bon endroit pour le faire. Balancer son porc sur la place publique offre de toute évidence un énorme soulagement, en autant que le dit porc est en fait un porc.
Et c’est là qu’il y a eu un dérapage évident dans certains cas.
Je me suis abonné aux groupes Facebook « Hyènes en jupons » et « Dis son nom » pour me faire une idée des dénonciations dont on parle tant sur les réseaux sociaux. Les témoignages démontrent que plusieurs femmes ont vécu des histoires horribles, ont été victimes d’abus et ont souffert – et souffrent toujours – de comportements hautement répréhensibles.
Il y a par contre plusieurs aspects qui me chicotent par contre dans cette démarche, et je mets ici des gants blancs car je suis un homme, et que c’est ainsi que les lectrices et lecteurs me jugeront.
Ce qui m’agace premièrement est le fait de donner certains noms sans aucun contexte. J’ai googlé des noms sur « la liste » et j’ai trouvé plusieurs profils Facebook potentiels. Impossible de savoir qui était le prétendu agresseur : tant pis pour ceux qui ont le patronyme d’un porc. On ne règle pas une injustice en en causant une autre.
Parfois, on rajoute la ville, ou le domaine dans lequel le présumé agresseur évolue. Si une femme écrivait « Eric Sauvé, Gatineau », je serais un des trois citoyens dans ma ville (à ma connaissance) à devoir défendre ma réputation.
Un autre problème est le fait que l’on met pratiquement tous comportements dans la même catégorie. Un porc, c’est aussi bien un collègue qui pogne une fesse dans un party de bureau qu’un agresseur récidiviste violent. L’actuel mouvement condamne de façon équivoque tous les présumés agresseurs. Avoir son nom sur une liste est une condamnation en soi.
J’aimerais dire à ces femmes que de dénoncer son agresseur à la police est la chose à faire, même si je sais que c’est peine perdue, dans bien des cas.
Et pourtant, si on juge que l’on a été victime d’un acte criminel, c’est par le système de justice que l’on doit transiger. Cela fait partie des règles que l’on s’est donnés en tant qu’état de droit. Tout ceci dans le but d’éviter les lynchages populaires – au sens propre et au sens figuré – ainsi que les dérapages. On a aussi choisi, comme société, de donner l’occasion au présumé agresseur de donner sa version des faits, et de demander à la présumée victime d’établir le fardeau de la preuve. La justice des humains, bien que forcément imparfaite, est essentielle au bon fonctionnement de la société.
Audi alteram partem, ou « écoute l’autre partie » : c’est ce que le système de justice s’engage à faire. Ce n’est pas, mais pas du tout, ce qui se passe sur les réseaux sociaux.
Il faut continuer à encourager les victimes à dénoncer, mais dans les respects de nos normes sociétales.
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Que vous soyez en accord ou non avec mes propos, vos commentaires sont toujours les bienvenus.